La décision française d'imposer une taxe sur le chiffre d'affaires aux géants du numérique a ravivé les tensions entre Paris et Washington, avec des échanges musclés, qui rappellent, dans une certaine mesure, la crise de la Guerre en Irak en 2003.

« Ce n'est pas tout à fait comparable à la guerre en Irak, car nous sommes aujourd'hui sur des tensions qui portent beaucoup plus sur des dossiers économiques », a expliqué à l'AFP Sylvie Matelly, économiste et directrice adjointe de l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).

« Mais il est vrai que les États-Unis se trouvent dans une logique d'extra-territorialité et se permettent, sans aucun état d'âme, des atteintes à la souveraineté d'autres pays quand leurs intérêts sont en jeu », a-t-elle constaté.  

Le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo ne s'en est d'ailleurs pas privé jeudi après une réunion avec son homologue français Jean-Yves Le Drian à Washington, appelant sans détour la France à renoncer à sa taxe sur les géants d'internet, approuvée la veille en commission à l'Assemblée nationale.

De Bucarest, où il participe à une réunion des ministres des Finances européens, Bruno Le Maire a immédiatement répliqué, rappelant que chaque pays peut choisir librement sa politique fiscale.

« Nous sommes décidés à mettre en oeuvre une taxe sur les plus grandes entreprises du numérique pour apporter plus de justice et plus d'efficacité au système fiscal international », a-t-il répondu à un moment où d'autres pays comme l'Autriche ou l'Espagne s'apprêtent à prendre de mêmes initiatives.

Paris a d'abord cherché un accord européen, mais elle s'est heurtée à l'opposition de l'Irlande, de la Suède, du Danemark et de la Finlande, avant de lancer seule son projet de taxe de 3 % sur le chiffre d'affaires.

Le retour du « faucon »

M. Le Maire était conseiller du ministre des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, lorsque la France s'était opposée à la guerre en Irak face à l'administration de George W. Bush, dont certains membres font aujourd'hui partie de la garde rapprochée de Donald Trump.

Dans son livre « Le nouvel empire », aux éditions Gallimard, il raconte comment il a retrouvé à la Maison-Blanche l'an dernier John Bolton, « l'un des plus farouches avocats de la guerre » en Irak, aux côtés de M. Trump lors de la visite d'Emmanuel Macron à Washington il y a un an.  

« Sa nomination comme conseiller à la sécurité nationale ne présageait rien de bon », écrit-il. « Je compris immédiatement que le faucon ne s'était pas transformé en colombe », a ajouté le ministre.

M. Pompeo, M. Bolton et le ministre du Commerce Wilbur Ross « incarnent effectivement la ligne dure au sein de l'administration américaine » sur la taxation des géants du numérique,  a expliqué à l'AFP un spécialiste des questions fiscales, qui s'est exprimé sous anonymat.

« Le secrétaire au Trésor Steven Mnuchin a une position plus constructive et il recherche une position à long terme pour le numérique », a ajouté la source, convaincue qu'un compromis au sein de l'Organisation de coopération et développement économiques (OCDE) est possible d'ici la fin de l'année.

À Bucarest, le ministre a rejeté toute comparaison avec la guerre en Irak. « D'abord parce que les tensions ne sont pas aussi vives et surtout parce que nous partageons avec nos amis américains, le même objectif » : « une fiscalité juste et efficace sur le numérique », a-t-il affirmé.

Paradoxalement, l'échec européen sur la taxe a remis dans la course l'OCDE, où les discussions sur un accord mondial étaient bloquées depuis plusieurs années par Washington.  

« Je souhaite que les efforts de la France permettent, avec la contribution des États-Unis, d'accélérer les négociations engagées en vue de l'adoption d'une taxation internationale sur le numérique à l'OCDE, qui se substituera aux taxes nationales », a écrit M. Le Maire sur Twitter.

Pour Mme Matelly, la France aurait toutefois pu éviter de viser initialement les GAFA, l'acronyme pour Google, Amazon, Facebook et Apple, des groupes uniquement américains, même si elle a ensuite parlé de taxe sur les géants du numérique.  

« En ne visant que des entreprises américaines, dans le contexte actuel de guerre commerciale, vous fâchez forcément l'équipe autour de Donald Trump », a-t-elle affirmé. « Ce n'est pas très adroit et cela peut être contreproductif », a-t-elle prévenu.