Des travailleurs étrangers essentiels aux entreprises saisonnières ne peuvent entrer au Québec, retardés par des délais bureaucratiques. Au point où des gens d'affaires craignent de perdre des contrats ce printemps.

Depuis cinq ans, Gabriel Tougas Leclerc, propriétaire de G.T.L. Paysagiste, engage des travailleurs étrangers pour compléter ses équipes. 

Des travailleurs saisonniers du Guatemala, qui devaient arriver le 1er avril, risquent d'entrer au pays avec deux mois de retard.

Faute de main-d'oeuvre, M. Tougas Leclerc craint de perdre des contrats cette saison.

« Je suis stressé, dit-il. Mes travailleurs du Guatemala m'appellent et me demandent ce qui se passe. »

Gabriel Tougas Leclerc s'y est pourtant pris d'avance. Il a envoyé ses documents en octobre 2018. Par le passé, ses travailleurs avaient déjà leurs permis en février.

Inquiète, l'Association des paysagistes professionnels du Québec (APPQ) a envoyé un avis à ses membres pour les inciter à faire pression sur leurs députés fédéraux.

Selon l'APPQ, qui représente 250 entreprises, certains employeurs embauchent jusqu'à une vingtaine de travailleurs étrangers chaque année depuis 10 ans.

« Le mode panique s'est enclenché, soutient Judith Leblond, directrice générale de l'APPQ. Les entrepreneurs ont su que leurs travailleurs arriveraient à la mi-juin et même à la fin de juin. Ça ne peut pas fonctionner dans un calendrier d'entreprises saisonnières comme les nôtres d'avoir autant de retard. Plusieurs entreprises vivent des heures d'angoisse en pensant à leur début de saison chamboulé. »

LES AGRICULTEURS AUSSI

La situation est moins criante chez les agriculteurs, car leur saison commence plus tard. Ils emploient chaque année 12 000 Mexicains et Guatémaltèques. L'Union des producteurs agricoles (UPA) prévoit néanmoins deux semaines de retard.

« Les agriculteurs sont sur le qui-vive, affirme Denis Roy, consultant en immigration à l'UPA. Ce n'est pas le genre d'inquiétude qu'on souhaite. On aurait aimé juste se préoccuper de la météo. »

Denis Roy soutient qu'à la demande du gouvernement, les demandes ont été envoyées plus tôt cette année. Or, les services fédéraux n'ont pas été aussi rapides que l'an dernier.

« C'est certain que ç'a un impact, explique Denis Roy. Le consommateur ne le verra peut-être pas sur le marché, mais des travailleurs vont devoir faire du temps supplémentaire et plus d'heures. Avec un printemps hâtif, on n'aurait pas pu devancer l'arrivée des travailleurs. »

PÉNURIE ET BIOMÉTRIE EN CAUSE

Lorsqu'un employeur souhaite faire venir des travailleurs étrangers, il doit tout d'abord demander une étude d'impact sur le marché du travail (EIMT). Or, Emploi et Développement social Canada reconnaît que les délais de traitement habituels des EIMT sont plus longs à cause de la pénurie de main-d'oeuvre. Il soutient que des efforts ont été déployés pour réduire les délais, notamment avec l'embauche de 34 employés supplémentaires à Montréal pour traiter les demandes.

« Le Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) connaît actuellement une augmentation de 23 % du nombre de demandes d'études d'impact sur le marché du travail (EIMT) présentées par des employeurs partout au Canada, ce qui inclut le Québec », nous a écrit par courriel le porte-parole d'Emploi et Développement social Canada, Christopher Simard. 

Une fois que l'employeur a eu l'autorisation d'embaucher des travailleurs étrangers, ces derniers doivent faire une demande de permis de travail et de visa. Depuis le 31 juillet 2018, le gouvernement exige des données biométriques, une photo numérique et des empreintes digitales. Cette nouvelle procédure ferait augmenter les délais, selon les acteurs du milieu. 

Le ministère fédéral de l'Immigration a toutefois précisé à La Presse par courriel qu'il était trop tôt pour connaître l'impact des exigences en matière de données biométriques sur les délais de traitement pour les ressortissants des Amériques.

Le gouvernement promet un processus de demandes d'EIMT plus rapide et plus simple.

« Si tout va bien, pour 2020, le processus devrait être plus simple, et ça va raccourcir les délais », espère Fernando Borja, directeur général de la Fondation des entreprises en recrutement de main-d'oeuvre agricole étrangère.