(Pékin) Échaudées par 19 mois de guerre commerciale, les entreprises chinoises accélèrent leurs efforts pour réduire leur dépendance à l’égard des États-Unis, une tendance amenée à se poursuivre même en cas d’accord bilatéral, préviennent des analystes.

Le différend entre les deux puissances, qui pénalise les firmes chinoises tournées vers l’export, se traduit par l’imposition mutuelle de droits de douane supplémentaires. Ils portent sur des centaines de milliards de dollars d’échanges annuels.

Ce dimanche 15 décembre, une nouvelle salve de surtaxes douanières doit entrer en vigueur aux États-Unis et ciblera des biens chinois jusque-là épargnés : électronique et vêtements de sport notamment.

« Les effets de la guerre commerciale se font de plus en plus sentir sur l’ensemble de l’économie chinoise », relève Max Zenglein, de l’Institut Mercator pour les études chinoises (Merics) en Allemagne.

Les exportations de la Chine ont subi en novembre leur quatrième mois consécutif de repli (-1,1 % sur un an), et cette tendance est particulièrement marquée pour celles en direction des États-Unis (-23 %).

« Nous sommes aux premiers stades du découplage », lequel rendrait les économies chinoise et américaine moins interdépendantes, affirme M. Zenglein.

Selon lui, ce phénomène va s’inscrire dans la durée. « L’issue des négociations n’aura qu’un effet sur la rapidité et l’ampleur du processus […], mais ne l’inversera pas », quatre décennies après le début du rapprochement économique sino-américain, qui a permis à la Chine de devenir la deuxième puissance mondiale.

« Aucune commande »

« Nous avons un découplage des deux côtés », estime le président de la Chambre de commerce de l’Union européenne (UE) en Chine, Jörg Wuttke.

« La Chine a réalisé qu’elle ne peut pas compter sur certains fournisseurs étrangers », après l’interdiction faite par Washington aux entreprises américaines de vendre certains composants clés aux géants chinois des télécoms Huawei et ZTE.

Ce dernier s’était retrouvé l’an dernier au bord de la faillite, avant que le président Donald Trump ne revienne finalement sur cette décision pour sauver in extremis le groupe aux 75 000 salariés.

Quant aux États-Unis, partenaire commercial incontournable de Pékin, mais aussi principal rival, ils ont « délibérément décidé de contenir la Chine » pour entraver son développement, déclare M. Wuttke.  

La guerre commerciale a renchéri le coût des produits chinois, des deux côtés du Pacifique.

« On prend en charge environ 70 % des surtaxes douanières américaines et nos clients aux États-Unis 30 % », explique M. Liu, le directeur d’une entreprise de confiserie dans la province du Shanxi (nord), qui n’a pas souhaité donner son nom complet.

Reste que l’affrontement Pékin-Washington est un facteur d’incertitude pour les entreprises chinoises, qui lorgnent désormais de nouveaux marchés pour se prémunir d’éventuelles surtaxes douanières supplémentaires aux États-Unis.

« Rester invincibles »

« Cette année, nos exportations vers les États-Unis ont diminué de moitié », indique à l’AFP une vendeuse de textile de la province du Zhejiang (est). Elle s’est du coup rabattue sur des clients en Europe et en Afrique.

« Au premier semestre, nous n’avons eu aucune commande aux États-Unis. On se concentre désormais sur l’Inde et l’Asie du Sud-est », précise M. Liang, un fabricant d’ordinateurs et tablettes de Shenzhen (sud), la capitale chinoise de l’électronique.

Il assure par ailleurs avoir diversifié ses chaînes d’approvisionnement pour réduire sa dépendance aux composants américains.

Dans un contexte de tensions avec les États-Unis – une « nouvelle Guerre froide » selon certains analystes –, la Chine cherche à se passer du made in USA.  

« Ce n’est qu’en possession d’une technologie indépendante » que le pays pourra « rester invincible », déclarait en mai le président chinois Xi Jinping.

Autre exemple : Pékin cherche à développer un système d’exploitation fait maison pour remplacer sur ses ordinateurs l’ultradominant Windows de Microsoft. Deux entreprises se sont lancées dans un nouveau projet, a indiqué cette semaine l’agence de presse officielle Chine nouvelle.

Mais il ne sera peut-être pas facile pour la Chine de se passer des technologies américaines.  

« Quand vous ouvrez un téléphone ZTE – et c’est aussi valable pour Huawei – vous voyez que les composants viennent du monde entier », juge Samm Sacks, analyste du centre de réflexion New America. « À bien des égards, toute cette rhétorique nationaliste n’est pas conforme à la réalité, car l’interdépendance est très poussée » dans les technologies.