(Ottawa) Des fonctionnaires fédéraux ont eu l’impression de se heurter à des obstacles dans leur quête visant à recueillir des données sur l’importance de l’« économie de petits boulots » au pays, révèle un nouveau document du gouvernement.

Des documents obtenus par La Presse canadienne en vertu de la Loi sur l’accès à l’information montrent que les fonctionnaires se méfient de la fiabilité des données existantes sur le nombre de Canadiens qui gagnent leur vie en utilisant des plateformes en ligne, même lorsque les chiffres provenaient de sources réputées.

La note d’information datée de la fin mars soulignait que les responsables d’Emploi et Développement social Canada (EDSC) examinaient des solutions de rechange.

Les fonctionnaires fédéraux surveillent de près les changements dans la population active, chez ses membres qui se détournent des emplois à temps plein au profit d’emplois plus temporaires, à temps partiel ou sous contrat.

Les recherches disponibles suggèrent que les jeunes se retrouvent plus souvent dans ces postes atypiques, qui peuvent être moins rémunérés et dépourvus d’avantages sociaux ou de sécurité d’emploi à long terme. Cela rend les effets de l’économie de petits boulots particulièrement intéressants pour les politiciens : les milléniaux représentent la plus grande cohorte d’électeurs cette année.

Les inquiétudes suscitées par les répercussions de ce phénomène ont entraîné des changements dans le Régime de pensions du Canada, de nouvelles dépenses en formation professionnelle et des modifications au Code du travail fédéral.

Mais il est difficile de mesurer la taille de l’économie de petits boulots parce qu’il existe plusieurs façons de la définir. Les fonctionnaires d’EDSC se sont appuyés sur une définition américaine qui décrit ses travailleurs comme des gens qui effectuent des tâches ou de menus travaux par l’entremise de sites web ou des applications mobiles qui organisent le paiement et offrent un lien direct avec les clients.

Cela regroupe, par exemple, la conduite pour le service d’autopartage Uber, les livraisons de repas pour SkipTheDishes ou la prise en charge de travaux inhabituels sur TaskRabbit. En revanche, cumuler plusieurs emplois à temps partiel, solliciter du travail sur un site web tel que Kijiji ou passer d’un contrat à court terme à un autre n’était pas pris en compte.

Changement démographique en cours

Si l’économie de petits boulots suscite autant d’inquiétude, c’est qu’elle suggère qu’un changement démographique est en cours au Canada. Les baby-boomers continueront à prendre leur retraite dans les années à venir et il n’y a pas suffisamment de jeunes travailleurs pour les remplacer, ce qui pose un problème potentiel. Contrairement au Régime de pensions du Canada, les prestations de la Sécurité de la vieillesse sont financées par les recettes fiscales, et les coffres du gouvernement fédéral pourraient ne pas être en mesure de couvrir leur coût, qui augmente plus rapidement que l’inflation.

À cela s’ajoutent les préoccupations populistes concernant l’immigration, qui a été le principal moteur de la croissance démographique alors que les taux de natalité ont diminué. Tout cela forme un dossier potentiellement chaud pour la prochaine campagne électorale.

Incertains de la marche à suivre après les élections, des fonctionnaires fédéraux de plusieurs ministères se sont penchés sur la question.

Une note d’information envoyée à une poignée de hauts fonctionnaires d’EDSC a déploré que « les données disponibles sur l’incidence et la qualité du travail sur les plateformes en ligne, au Canada et à l’étranger, étaient actuellement assez limitées, ce qui empêche de fournir des conseils stratégiques ».

Les fonctionnaires ont également mis en garde contre les résultats du sondage de deux grandes institutions fédérales — Statistique Canada et la Banque du Canada — sur le nombre de Canadiens qui ont recours aux plateformes en ligne pour contribuer à leurs revenus, soulignant certaines préoccupations quant à la manière dont les données ont été obtenues.

Selon le document, Statistique Canada a annulé un plan visant à reproduire une enquête américaine sur la main-d’œuvre de l’économie de petits boulots après que les autorités américaines ont admis que les résultats posaient problème. L’agence a plutôt effectué une enquête sur l’économie numérique, qui a révélé que 230 000 Canadiens environ avaient participé au travail sur les plateformes dans les 12 mois précédents, soit 0,8 % de la population de plus de 18 ans.

Un effort similaire de la Banque du Canada a suggéré qu’entre 4,0 % et 6,5 % des Canadiens de plus de 16 ans faisaient partie de l’économie des petits boulots.

Dans les deux cas, les résultats, bien qu’ils soient différents, étaient « nettement inférieurs » à ceux d’autres pays, selon le document, et ils devraient être « traités avec prudence en raison du petit nombre de répondants ».

« Nous savons qu’il y a eu une croissance et nous savons que le Canada s’appuie beaucoup sur cette forme de travail, à la fois pour les employeurs et, curieusement, pour les travailleurs », a souligné Armine Yalnizyan, une économiste qui a étudié en détail l’économie de petits boulots.

« Quelque chose se produit, nous ne savons tout simplement pas comment le mesurer correctement. »

Les résultats d’un nouvel effort de Statistique Canada devraient être disponibles cet automne, indique la note d’information, mais des responsables d’EDSC préconisaient déjà des « méthodes alternatives de collecte de données » pour en savoir plus sur les travailleurs des plateformes et la qualité de leur travail.

Une porte-parole du ministère a déclaré qu’EDSC « continuait d’explorer la possibilité » de participer à une enquête internationale sur les travailleurs des plateformes et à une étude approfondie avec Statistique Canada. Ces deux études se dérouleront l’année prochaine.