La rencontre des dirigeants chinois et américain plus tard cette semaine au sommet du G20 à Osaka, au Japon, pourrait refermer les canaux commerciaux ouverts par 40 ans de mondialisation et bouleverser l’ordre mondial. Les tensions commerciales n’ont jamais été aussi grandes entre les deux premières puissances économiques de la planète, qui sont aussi les grands gagnants de la mondialisation.

En accueillant tous les fabricants désireux de réduire leurs coûts de production, la Chine a contribué à la prospérité économique des États-Unis. « C’est ce qui a fait que les États-Unis ont pu profiter d’une croissance économique prolongée, ils ont pu acheter des biens pas chers et bénéficier de taux d’intérêt stables », explique Luc Vallée, stratège en chef de Valeurs mobilières Banque Laurentienne.

Dans la même période, la Chine a connu une expansion économique sans précédent, souligne Zhan Su, professeur à l’Université Laval et titulaire de la Chaire Stephen-A.-Jarislowsky en gestion des affaires internationales.

Le niveau de vie des Chinois s’est beaucoup amélioré. Sa classe moyenne, avec 300 millions de personnes, est maintenant la plus importante au monde.

Zhan Su, professeur à l’Université Laval et titulaire de la Chaire Stephen-A.-Jarislowsky en gestion des affaires internationales

La guerre commerciale déclarée par le président Trump contre la Chine n’a donc pas de fondement économique. « C’est sûr que la délocalisation des usines a fait perdre des emplois aux États-Unis, mais avec un taux de chômage de 3,7 %, on ne peut pas dire que l’économie américaine va mal », dit Luc Vallée.

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Si Donald Trump et Xi Jinping se rencontrent à Osaka la semaine prochaine, ils trouveront un moyen de s’entendre pour sauver la face tous les deux, estime le professeur Zhan Su.

Selon lui, le déficit commercial américain envers la Chine, qui atteint un record, n’est pas un signe de mauvaise santé économique, précise-t-il. Si le président veut à tout prix l’éliminer, c’est qu’il pense avant tout à sa réélection en 2020 et qu’il a promis de le faire.

Les autres participants au sommet du G20 pourraient sans le vouloir servir sa cause.

La montée en puissance de la Chine a dérangé — et dérange encore — la plupart des pays industrialisés, parce qu’elle ne s’est pas faite selon les règles. « La Chine a bien profité de la mondialisation, mais ça a été fait avec des pratiques déloyales, le non-respect de la propriété intellectuelle et les transferts forcés de technologies », rappelle le professeur Su.

L’utilisation des tarifs comme arme à tout faire par le président Trump est dangereuse et pourrait entraîner une récession mondiale, estiment la plupart des économistes et des gens d’affaires américains.

C’est aussi l’avis du PDG de Morgan Stanley, James Gorman. De passage à Montréal récemment, le patron de la puissante banque d’affaires de New York a néanmoins souhaité que les pressions américaines forcent la Chine à respecter les règles de l’Organisation mondiale du commerce en matière de commerce et d’investissements.

Il veut notamment que la Chine renonce à garder le contrôle des entreprises étrangères qui s’établissent sur son territoire. Morgan Stanley, comme les autres, ne peut détenir plus que 49 % de ses filiales chinoises, ce qui est « inacceptable », a répété M. Gorman à la Conférence de Montréal.

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Le déficit commercial américain envers la Chine atteint un niveau record.

La guérilla tarifaire de Donald Trump est également et unanimement désapprouvée par les membres du G20, mais elle pourrait amener la Chine à faire des concessions souhaitées par tous.

La guerre des mondes

Au-delà des questions commerciales, la Chine inquiète les pays industrialisés à cause des moyens qu’elle s’est donnés, affirme Zhan Su.

En plus d’être l’usine du monde, le pays possède des ressources stratégiques, comme les terres rares, il a un marché croissant de consommateurs et il est le plus grand détenteur de la dette américaine.

« La Chine ne peut plus être considérée comme un pays en voie de développement. C’est le plus important investisseur au monde, qui peut mobiliser des ressources gigantesques. »

« Si quelqu’un peut défier la suprématie américaine, c’est la Chine », dit-il.

Sur le plan technologique, c’est probablement déjà fait.

Plusieurs observateurs pensent que les reproches faits à Huawei ne sont qu’un prétexte pour camoufler le retard technologique des entreprises américaines et qu’ils visent à gagner du temps.

Luc Vallée, stratège en chef de Valeurs mobilières Banque Laurentienne

Selon lui, le président américain pense d’abord à sa réélection en 2020, mais d’autres, aux États-Unis, voient plus loin. Les grands projets d’infrastructures mis en œuvre par le gouvernement chinois, comme « One Belt, One Road », qui visent à accroître l’influence de la Chine dans le monde, inquiètent beaucoup les Américains.

Selon Zhan Su, il est évident que le conflit actuel entre la Chine et les États-Unis est plus qu’un conflit commercial. « C’est une guerre technologique et politique. »

Le professeur né à Pékin et arrivé au Canada en 1982 croit que si Donald Trump et Xi Jinping se rencontrent à Osaka la semaine prochaine, ils trouveront un moyen de s’entendre pour sauver la face tous les deux.

« Trump ne veut pas de récession parce qu’il veut assurer sa réélection et la Chine ne veut pas ralentir son économie », assure-t-il.

« La Chine dominera bientôt l’économie mondiale, renchérit Luc Vallée. Ce sera alors dans son intérêt que ses partenaires commerciaux respectent les règles du commerce international. »

« One Belt, One Road »

Le projet titanesque, aussi appelé « nouvelle route de la soie », est une priorité du gouvernement de Xi Jinping. Il vise à construire des routes, des ports et des voies ferroviaires pour former un nouveau corridor commercial entre la Chine et l’Europe, en passant par l’Asie centrale et le Moyen-Orient.

Ce nouveau corridor pourrait être achevé en 2049. Les pays qui s’y intéressent, certains financés par les Chinois, représentent 62 % de la population mondiale.