Le nouveau sous-gouverneur de la Banque du Canada est né à Québec, a une collection de diplômes et il a enseigné au Canada, aux États-Unis, au Royaume-Uni et en France. Amateur de ski, il arrive de Vancouver, où il était professeur à l’Université de la Colombie-Britannique. Dans un entretien avec La Presse, Paul Beaudry parle de son nouveau défi.

Est-ce que vous aviez déjà pensé que vous deviendriez sous-gouverneur de la Banque du Canada ?

Oui. C’était derrière ma tête depuis longtemps. Quand j’ai commencé à étudier en économie à l’Université Laval au début des années 80, le Canada était en récession. C’était une crise pire que la crise financière de 2008, causée en partie par la banque centrale avec des taux d’intérêt élevés. Je trouvais ça bizarre qu’une institution propre à nous crée une crise. Alors j’ai continué à étudier pour comprendre un peu plus la politique monétaire. Je pensais me retrouver assez rapidement dans une banque centrale, mais plus j’étudiais, plus je m’apercevais que je ne comprenais pas tout. Aujourd’hui, ce n’est pas que j’ai tout compris, mais je me suis dit que si je ne contribue pas maintenant, je ne le ferai jamais.

Pensez-vous que les banques centrales sont bien outillées pour faire face aux défis des économies modernes ? 

Les banques centrales ne peuvent pas tout régler. Avec des taux d’intérêt aussi bas, notre outil traditionnel [la fixation du taux directeur] est plus limité. On n’a pas beaucoup de marge de manœuvre. Des taux d’intérêt négatifs, par exemple, comme on voit en Europe, on n’aurait jamais pensé à ça avant. L’idée que quand tu déposes ton argent à la banque, tu vas peut-être être obligé de payer quelque chose, c’était impensable. La crise financière de 2008 nous a amenés à penser à d’autres outils.

Les taux d’intérêt négatifs sont un outil qu’on n’a pas encore utilisé au Canada. Mais on ne peut pas aller trop loin dans les taux d’intérêt négatifs parce que les gens vont prendre leur argent et le mettre dans leur matelas. Mais il y a maintenant des façons différentes de faire les choses.

La Banque du Canada réfléchit actuellement à la possibilité de poursuivre plus d’objectifs que celui de contrôler l’inflation, qui est le seul depuis 27 ans. Où vous situez-vous dans ce débat ? 

La Banque a un objectif très large, celui d’assurer le bien-être économique et financier des Canadiens. En ayant une cible unique, le contrôle de l’inflation, on peut y parvenir. Mais l’inflation n’est pas la seule chose qui nous intéresse. Je peux faire une comparaison avec quelqu’un qui est végétarien. Ce n’est pas seulement parce qu’il aime les légumes, c’est peut-être aussi parce qu’il estime que c’est bon pour la santé et que c’est bon pour le bien-être des animaux.

La crise financière nous a amenés à réfléchir à d’autres façons de faire. Autant on a eu peur de l’inflation, maintenant on a plus peur de la déflation. Si on se donne aussi une cible de chômage, c’est plus difficile et ce n’est pas clair comment on le communiquerait. Est-ce que ça mélange plus ou ça clarifie les choses ? C’est la question qu’il faut se poser.

Une cible d’inflation à 2 %, c’est simple. On a encore une bonne année pour y réfléchir et faire une proposition au ministère des Finances. Il faut se rappeler que ce sont les élus qui décident. Nous, on suggère.

Vous avez enseigné pendant presque toute votre carrière. Est-ce que vous pensez avoir plus d’influence à la Banque du Canada que pendant toutes vos années d’enseignement ?

J’arrive à la Banque et je reconnais plusieurs de mes anciens étudiants ! C’est très différent, mais en même temps, il y a beaucoup de recherche qui se fait à la Banque, comme à l’université. Du côté académique, on pose des questions, mais on n’a pas la responsabilité de prendre les décisions. On a des décisions à prendre avec une certaine mesure d’incertitude. On ne peut plus continuer d’étudier. C’est plus terre à terre. Mais je ne me sens pas perdu du tout.