Au menu de bien des repas prévus au cours du congé de Pâques, le crabe des neiges est sans contredit un produit de luxe. Or, les circulaires des supermarchés l’annoncent à un prix généralement plus compétitif que les poissonneries, une situation que dénoncent certains marchands de poisson incapables d’offrir un coût aussi bas.

Cette fin de semaine, les amoureux de fruits de mer paieront leur crabe cuit 13,99 $ la livre s’ils l’achètent chez Metro ou IGA et 16,99 $ la livre s’ils se rendent au comptoir de Provigo. Vérification faite auprès de plusieurs poissonneries montréalaises, le prix du crabe varie plutôt entre 20 $ et 28 $ la livre.

Si cet écart peut surprendre le consommateur, les marchands spécialisés assurent ne pas pouvoir rivaliser avec les grandes surfaces. Concurrence déloyale ?

« Certainement que c’est déloyal, répond d’emblée Stéphane Vigneau, copropriétaire de Fou des Îles, une poissonnerie de quartier ayant pignon sur rue dans Rosemont et Ahuntsic. On essaie de se battre contre les gros qui vendent à perte. Les vrais clients de poissonnerie continuent à acheter chez nous, mais ça ne nous aide pas à trouver une nouvelle clientèle. »

À la poissonnerie La Mer, Alexander Meletakos, directeur des ventes, est bien conscient que le prix du crabe tend à augmenter et que ses produits ne sont pas accessibles à toutes les bourses. Mais il ne peut se permettre pour autant d’égaler les prix des grandes surfaces qui achètent « de plus grands volumes » de crabes.

« Les poissonneries indépendantes ne vendent qu’un seul type de produit. On ne peut pas vendre à perte. On essaie de se démarquer par notre service à la clientèle. » — Alexander Meletakos, directeur des ventes de la poissonnerie La Mer

La qualité et la fraîcheur de ses produits sont également des arguments qu’il utilise pour convaincre les consommateurs de s’approvisionner à La Mer.

Lorsque les produits sont vendus au prix ordinaire, les différences de coûts entre poissonneries et supermarchés sont minimes, indique Stéphane Ferron, chef des opérations pour les poissonneries Odessa. La réalité est tout autre lorsque les grandes surfaces mettent certains articles en promotion, comme dans le cas du crabe. « Pour attirer les clients, [les épiceries] vendent certains articles au prix coûtant ou même plus bas », ajoute M. Ferron.

Du côté d’IGA, la porte-parole, Anne-Hélène Lavoie, admet que le prix du crabe vendu dans ses supermarchés est très attrayant. L’entreprise réussit-elle à faire des profits avec la vente de ce produit saisonnier ?

Mme Lavoie refuse de répondre directement à la question. « C’est un choix que l’on fait », souligne-t-elle, ajoutant dans la foulée que le client qui vient chercher son crabe risque fort d’acheter d’autres produits dans le comptoir de poisson. « Il n’y aura pas juste du crabe au menu », croit-elle.

Chez Loblaw, on refuse également de commenter la politique des prix. « Si nos ententes avec nos fournisseurs et notre volume d’achat nous permettent d’offrir des prix compétitifs, notre stratégie à cet égard chez Provigo en est une principalement de “high and low”, comme c’est le cas dans nos autres départements, de manière à pouvoir offrir d’excellents prix à différentes semaines clés, en fonction des arrivages ou moments forts de la saison », explique Johanne Héroux, directrice principale, Affaires corporatives et communications, Loblaw, dans un courriel envoyé à La Presse.

Compétition féroce

Si les supermarchés jouent de plus en plus dans les plates-bandes des poissonneries à cette période-ci de l’année, c’est que le crabe des neiges gagne en popularité chez les amateurs de fruits de mer.

« Chaque année, on voit une augmentation [dans nos ventes]. Pâques, c’est notre plus grosse fin de semaine de l’année. » — Katherine Cyr-Desbois, gérante des Pêcheries Raymond Desbois, à Matane

Mme Cyr-Desbois, gérante de l’entreprise matanaise qui possède deux poissonneries à Québec, affirme que dans ses commerces, l’achalandage y est plus important que pendant la saison du homard, dont le début concorde souvent avec la fête des Mères, au début du mois de mai.

Stéphane Vigneau, de Fou des Îles, note ce même engouement. Cette guerre de prix avec le homard existe depuis plusieurs années, note-t-il. En ce qui concerne le crabe, il s’agirait d’un phénomène relativement nouveau. « Le crabe, c’est rendu presque aussi populaire que le homard », confirme Anne-Hélène Lavoie, d’IGA.

Et celui que l’on trouve dans les comptoirs des épiceries provient du même endroit que le crabe des étals des poissonneries. Toutefois, explique Jean-René Boucher, directeur général du Regroupement des pêcheurs professionnels du nord de la Gaspésie, la plupart des supermarchés n’achètent pas directement leur produit sur les quais de débarquement. Ce sont plutôt des usines qui transigent avec les pêcheurs. Celles-ci approvisionneront ensuite les grandes surfaces. Selon lui, les usines paient leur crabe environ 5 $ la livre. Certains marchands indépendants, indique-t-il, se procurent leurs produits, sans intermédiaire, et déboursent généralement entre 6 $ et 6,50 $ pour une livre de crabe.

« Le crabe qu’on achète en épicerie, il est un peu moins gros et un peu moins beau, souligne toutefois M. Boucher. Les poissonneries se gardent la crème de la crème. »