Les fusions et acquisitions, surtout lorsqu'une entreprise québécoise passe entre les mains d'une société étrangère ou établie à l'extérieur de la province, retiennent toujours l'attention dans l'actualité économique et l'année 2018 n'a pas fait exception à la règle.

Si le nom des acteurs concernés change, les 12 derniers mois se sont inscrits dans le mouvement de continuité des dernières années, selon le professeur titulaire au département de management à HEC Montréal Louis Hebert, qui se spécialise dans les fusions et acquisitions.

« Il n'y a pas eu de rupture, a-t-il expliqué. Il y a encore eu du capital disponible à faible coût. Ce n'est donc pas ce que je veux acheter, mais ce que je peux acheter. »

Dans un contexte où le prix des transactions est constamment à la hausse, M. Hébert estime que la prochaine année pourrait marquer le début d'une transition advenant, notamment, un resserrement des conditions pour emprunter.

Actuellement, les vendeurs savent que les acheteurs ont les reins assez solides pour délier les cordons de la bourse, a-t-il observé.

« C'est une situation très riche en matière de transaction, a expliqué le professeur à HEC Montréal. Toutefois, est-ce que cela va continuer très longtemps s'il y a un resserrement du crédit ou des craintes quant à une récession ? »

D'ici là, voici un retour sur quelques transactions d'envergure et sur quoi garder l'oeil au cours de la prochaine année.

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Avril :

Après avoir mis le pied dans le marché australien en 2014, Saputo étend sa présence dans ce pays d'Océanie en allongeant 1,3 milliard pour acheter Murray Goulburn. Cela permet à la multinationale québécoise de devenir le plus important producteur laitier de ce pays d'Océanie.

« C'est pour cette raison que j'ai parlé de continuité, a rappelé M. Hébert, en faisant référence à la stratégie de croissance de l'entreprise. Ce que l'on a vu, c'est que les stratégies des entreprises en termes d'expansion ont été stables. »

Toutefois, pour arriver à ses fins, Saputo a dû apaiser les craintes des autorités réglementaires australiennes en acceptant de se départir d'une importante usine qui était exploitée par Murray Goulburn.

Mai :

Les acquisitions ont toujours été au coeur de la stratégie de Stingray afin d'assurer sa croissance.

Mais le fournisseur québécois de services musicaux frappe un grand coup le 2 mai en effectuant une intrusion dans le secteur de la radio traditionnelle en avalant Newfoundland Capital pour un demi-milliard de dollars.

Cette transaction, la plus importante de l'histoire de Stingray, lui permet de se hisser parmi les plus importants radiodiffuseurs canadiens grâce aux 101 licences - 82 sur la bande FM et 19 sur la bande AM - appartenant à l'entreprise établie en Nouvelle-Écosse.

Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes donne son feu vert à l'acquisition en octobre.

Juin :

Après Pétrolia l'an dernier, c'est au tour de l'autre principale société pétrolière québécoise, Junex, de se regrouper avec une entreprise albertaine, cette fois-ci après l'offre déposée par Cuda Energy.

Cette entreprise de Calgary, qui effectue de l'exploration et de l'exploitation de pétrole et de gaz naturel, n'est pas étrangère au Québec puisqu'elle détient déjà des permis d'exploration dans la vallée du Saint-Laurent.

La transaction est confirmée en août, mais les semaines précédentes sont mouvementées puisqu'une autre compagnie, Utica Resources, dirigée par Mario Lévesque, présente deux offres non sollicitées pour tenter d'avaler Junex, dont le principal actionnaire est l'État québécois.

Néanmoins, c'est l'offre de Cuda qui est acceptée.

Juillet :

Le nom de Camso était peu connu avant que Michelin achète le fabricant québécois de pneumatiques - spécialisé entre autres dans les chenilles pour motoneiges et engins agricoles - pour 1,7 milliard US.

Mais avoir après avoir multiplié les acquisitions afin d'asseoir sa croissance depuis sa fondation, en 1982, la société décide de passer dans le giron du géant français, qui mettra sur pied un nouveau groupe des produits hors route qui sera dirigé depuis le Québec.

Camso compte quelque 7500 employés dans 26 pays, exploite 22 usines et génère des ventes annuelles de 976 millions US ainsi que des profits de 68 millions US.

Comme c'est souvent le cas lors des prises de contrôle étrangères, Michelin prend une série d'engagements, dont le maintien du centre décisionnel de la nouvelle division à Magog, au siège social de Camso, en plus de maintenir les 300 emplois qui s'y trouvent.

Les activités de recherche et développement, qui fournissent du travail à environ 125 personnes, demeureront aussi au Québec.

Novembre :

Bombardier n'a pas fait que céder le contrôle de la C Series à Airbus en 2018.

La cure minceur s'est poursuivie en novembre à la suite d'autre restructuration qui se traduit par l'élimination de 5000 postes, dont 2500 au Québec, ainsi qu'une vente d'actifs.

L'entreprise vend le programme d'avions turbopropulsé Q400 à Viking Air pour environ 300 millions US ainsi que ses activités de formation de techniciens et de pilotes pour ses avions d'affaires à CAE pour près de 645 millions US.

C'est toutefois la troisième vague de licenciements d'envergure effectuée par Bombardier depuis 2015 qui sème la grogne dans la population, principalement en raison des importants coups de pouce financiers octroyés par les gouvernements à la société.

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Après une offre initiale en juillet, Air Canada finalise une entente, le 26 novembre, pour acquérir le programme de fidélisation Aéroplan, propriété d'Aimia, pour 450 millions.

Les quelques cinq millions de membres ayant accumulé des points au fil des années suivaient ce dossier de près étant donné que le transporteur aérien compte déployer son propre programme de fidélisation à compter de 2020.

Avant d'acheter Aéroplan, Air Canada avait annoncé, en mai 2017, son intention de rompre ses liens avec le programme de fidélisation afin de déployer sa propre plateforme.

La transaction devra obtenir le feu vert des actionnaires d'Aimia le 8 janvier. À l'origine, Aéroplan était le programme de fidélisation maison d'Air Canada. Il a été essaimé en tant qu'entreprise indépendante en 2005.

Il n'y a pas que les transactions annoncées qui retiennent l'attention, étant donné que certaines compagnies ont pris des décisions ou signalé des intentions qui pourraient mener à des transactions dès 2019.

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Voici quelques compagnies à surveiller :

Uni-Sélect : Le distributeur de pièces automobiles a remanié sa haute direction en septembre dernier, mais a également formé un comité pour étudier ses options stratégiques - ce qui ouvre la porte à une vente de la compagnie. Si l'entreprise n'a fourni aucun échéancier quant au moment où une décision pourrait être prise, certains analystes ont évoqué le scénario d'une vente de la totalité de l'entreprise, de certaines parties, comme FinishMaster, ou une importante restructuration. Uni-Sélect a été fondée en 1968 par 12 hommes d'affaires québécois.

Bombardier : Après la C Series et le Q400, il y a lieu de se demander si Bombardier demeurera présente dans le secteur de l'avion commercial. L'entreprise évalue désormais les options stratégiques des CRJ, ces jets régionaux pouvant transporter jusqu'à 90 passagers et qui sont assemblés par près de 1000 travailleurs à Mirabel, dans les Laurentides. Selon le président et chef de la direction de Bombardier, Alain Bellemare, les compagnies aériennes apprécient ces appareils, mais l'entreprise veut réduire les dépenses entourant ce programme, entre autres grâce à des négociations avec les fournisseurs.

SNC-Lavalin : Plusieurs s'attendaient à ce que la loi adoptée par Ottawa permettant la conclusion d'accords de réparation allait permettre à SNC-Lavalin de tourner la page sur les accusations criminelles qui pèsent sur elle depuis 2015. Or, les procureurs fédéraux ont causé la surprise en refusant, pour le moment, de négocier avec SNC-Lavalin, qui doit maintenant se résigner à tenter de prouver son innocence devant les tribunaux. Les accords de réparation prévoient généralement le paiement d'une amende et une série de conditions à respecter en échange d'un abandon des procédures judiciaires. La Gendarmerie royale du Canada a déposé des accusations de fraude et de corruption à l'endroit de SNC-Lavalin et certaines de ses filiales pour des gestes qui auraient été posés en Libye. La multinationale, qui dit n'avoir rien à se reprocher, a plaidé non coupable, mais une longue bataille judiciaire semble se profiler devant les tribunaux. Certains analystes ont depuis évoqué plusieurs scénarios, comme une vente d'actifs, comme l'unité de construction et d'ingénierie, une fermeture du capital de l'entreprise et même un retrait complet du marché canadien.