L'homme d'affaires d'origine sherbrookoise Graeme Roustan - devenu investisseur militant après son passage chez Bauer - vient de s'immiscer dans les affaires internes d'AEterna Zentaris, cette société biopharmaceutique dont l'assemblée annuelle des actionnaires se tient encore au Québec même si le siège social a été déplacé à Charleston, en Caroline du Sud.

Graeme Roustan soutient avoir accumulé suffisamment d'actions dans les derniers mois pour en détenir aujourd'hui davantage que le plus important actionnaire d'AEterna inscrit au registre officiel. Il y a trois semaines, il a fait parvenir au conseil d'administration une lettre dans laquelle il a invité les administrateurs à procéder à certains changements.

Dans sa lettre datée du 7 juillet qu'a obtenue La Presse, il demande notamment trois sièges au conseil et exhorte les administrateurs à posséder plus d'actions de l'entreprise, soulignant au passage que deux membres du conseil ne détiennent aucune action.

« Les gens me connaissent pour mon implication dans le hockey. Mais je suis à la recherche d'occasions dans tous les secteurs d'activité. Je vois chez AEterna une occasion d'augmenter la valeur pour les actionnaires », dit l'homme de 57 ans né à Sherbrooke en 1960.

Jeudi dernier, AEterna a annoncé la mise sur pied d'un comité spécial pour évaluer des options stratégiques tout en indiquant que le PDG, David Dodd, quittait son poste. Deux jours plus tôt, le départ soudain d'un membre du conseil qui ne détenait aucune action d'AEterna - Ken Newport - a discrètement été annoncé.

Cette même journée, AEterna révélait que la Food and Drug Administration avait accepté la nouvelle demande de l'entreprise visant l'approbation de son médicament Macrilen qui permettrait d'évaluer la déficience en hormone de croissance chez les adultes.

Le titre d'AEterna a plus que doublé de valeur durant la seule séance de mercredi dernier après que l'entreprise, dont le siège social a été déplacé il y a un peu plus d'un an de Québec à Charleston, en Caroline du Sud, eut redonné espoir aux investisseurs.

« Ultimement, je souhaite qu'AEterna soit mise en vente pour être rachetée par une pharmaceutique américaine ou canadienne. » - Graeme Roustan

Il dit avoir profité de la faiblesse du titre, le printemps dernier, pour accumuler des actions et augmenter sa participation dans AEterna. Graeme Roustan soutient même avoir bonifié un peu plus sa position hier alors que le titre reculait de 20 %.

« La formation du comité stratégique est motivée par le désir d'accélérer les initiatives que le conseil examinait depuis plusieurs mois », dit le porte-parole d'AEterna Zentaris, Riyaz Lalani.

Ce dernier indique que le conseil s'est en effet penché sur les revendications de Graeme Roustan. « La compagnie a tenté par l'entremise de la présidente du conseil, Carolyn Egbert, d'enclencher une discussion avec Graeme Roustan en l'invitant à signer un document de non-divulgation, mais il a refusé. »

Graeme Roustan réplique que la signature d'un tel accord aurait pour effet de restreindre sa capacité de vendre et d'acheter des actions de l'entreprise et que s'il devait signer cette entente, il devrait à tout le moins avoir un siège au conseil.

« Mis à part d'offrir à n'être rémunéré qu'exclusivement en actions, Graeme Roustan n'a pas démontré en quoi il possédait les attributs pour faire partie du conseil et il n'a pas identifié les deux personnes qu'il souhaite amener au conseil avec lui ni expliqué les initiatives qu'il souhaite voir la compagnie entreprendre », ajoute Riyaz Lalani.

DÉMISSION, OU CONGÉDIEMENT ?

Appelé à réagir pour commenter les événements de la semaine dernière, David Dodd a dit que son départ du poste de PDG est lié à un désaccord avec les membres du conseil au sujet de la direction vers laquelle AEterna s'oriente. « Ce sont des choses qui arrivent », dit-il, sans vouloir aller plus loin dans ses explications. À propos de la lettre envoyée au conseil par Graeme Roustan, David Dodd dit comprendre sa position et affirme être d'accord avec lui sur certains points, en particulier en ce qui concerne l'importance pour les administrateurs de détenir beaucoup d'actions.

« Je détiens personnellement plus d'actions que tous les autres administrateurs en possèdent mis ensemble. J'ai été élu par les actionnaires. » - David Dodd, ex-PDG d'AEterna Zentaris mais qui demeure membre du conseil. Ce dernier entend rester actif dans ce rôle

Questionné pour savoir s'il avait démissionné ou s'il avait été congédié, David Dodd n'a pas répondu de façon directe. « Je préfère ne pas commenter en raison de gestes ultérieurs qui pourraient être posés. »

Jason Kolbert, de Maxim Group, s'est de son côté dit surpris et déçu de la décision du conseil. « David Dodd a fait un travail remarquable pour redresser l'entreprise », souligne l'analyste dans une note envoyée à ses clients.

Pour Graeme Roustan, il s'agit d'une deuxième croisade publique en tant qu'investisseur militant. Président du conseil d'administration de Bauer de 2008 à 2012, il a ouvertement critiqué la direction de Bauer (devenue Performance Sports Group) dans les dernières années avant que l'entreprise s'effondre en Bourse et se place sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, l'automne dernier.

AETERNA AU FIL DES ANS

1991

Fondation des Laboratoires AEterna par les frères Eric et Luc Dupont à Québec afin de mettre au point le Neovastat, un traitement anticancer à base de cartilage de requin.

1999

Création de l'entreprise de produits naturels Atrium Innovations à titre de filiale d'AEterna.

2002

Acquisition de la société biopharmaceutique allemande Zentaris, spécialisée en oncologie et endocrinologie, pour 82 millions de dollars canadiens.

2004

Laboratoires AEterna devient AEterna Zentaris et concentre ses efforts pour développer deux produits : le cetrorelix - pour la prostate - et la perifosine - pour traiter le cancer du côlon et le cancer du sang.

2013

Nomination au poste de président et chef de la direction de David Dodd, présenté comme un spécialiste de la transformation d'entreprise.

2014

La Food and Drug Administration (FDA) refuse d'approuver le médicament Macrilen, qui permettrait d'évaluer la déficience en hormone de croissance chez les adultes.

2015

La direction annonce la fermeture de son siège social de Québec pour le déménager en Caroline du Sud.

2017

La FDA accepte la nouvelle demande visant à approuver le Macrilen, ce qui pourrait mener à une autorisation en fin d'année et à un lancement du produit en 2018.