Parole d'universitaires et d'investisseurs, l'élection de Donald Trump et le Brexit ont donné un élan inattendu à l'intelligence artificielle au Canada. « Nous sommes passés de 200 à 1000 candidats pour 50 places disponibles à notre faculté, résume Randy Goebel, professeur au département d'informatique de l'Université de l'Alberta. Le Canada a maintenant un réel avantage grâce au Brexit et au président Trump. »

Ce phénomène est ressenti dans pratiquement toutes les universités canadiennes, notamment à Edmonton, Toronto et Montréal, les trois épicentres de l'intelligence artificielle au pays, a-t-on appris lors d'un débat organisé hier par la Caisse de dépôt et placement du Québec à l'Espace CDPQ, au centre-ville de Montréal. Il concerne les étudiants étrangers qui sont réticents à immigrer aux États-Unis et, dans une moindre mesure, en Grande-Bretagne, ainsi que des résidants de ces deux pays prêts à émigrer. À l'Université McGill, par exemple, on a enregistré une hausse de 21 % des demandes d'admission d'étudiants américains par rapport à l'année dernière.

Pour le chercheur montréalais Yoshua Bengio, le défi est maintenant de recruter suffisamment de formateurs pour former à leur tour les nouveaux étudiants. « Le problème est en quelque sorte notre bande passante. Nous devons monter d'un cran, et une bonne partie de l'argent annoncé récemment par les gouvernements va être utilisé pour recruter de nouveaux professeurs. »

FUIR LES « PERCÉES »

Sur le thème de la commercialisation de l'intelligence artificielle, l'événement organisé par la CDPQ a notamment permis de constater les connexions étroites, pratiquement jamais vues, entre la recherche et l'industrie dans ce domaine prometteur.

Pour M. Bengio, les chercheurs comme lui peuvent d'abord aider les entreprises à « filtrer les bonnes idées des mauvaises, aider à travailler dans la bonne direction ». « Les scientifiques passent leur temps à améliorer leurs algorithmes, pas à se demander ce qui pourrait être utile. Les entrepreneurs, eux, sont ceux qui vont penser à une folle façon de tirer avantage des connaissances. Il y a une grande opportunité, avec l'énergie des entrepreneurs couplée aux universités, de réellement changer le monde. »

En tant que scientifique, il avait un premier conseil à donner à l'auditoire essentiellement composé d'entrepreneurs : se méfier des « percées ». « Si vous voyez ce mot, fuyez. Il est difficile de dire au moment de la publication des résultats d'une recherche s'il s'agit d'une percée. Prenez l'exemple de la traduction automatique : on pensait avoir fait des percées significatives il y a trois ans, mais ce n'était pas au point. Il a fallu les investissements de Google et des montagnes de données pour que ça devienne réellement une percée. »

Sa collègue Joëlle Pineau, chercheuse à l'Université McGill, a cité l'exemple d'AlphaGo, le programme informatique conçu par Google DeepMind qui a battu le champion mondial de jeu de go il y a deux semaines. « Tout chercheur en intelligence artificielle est impressionné. Mais si vous y regardez de près, il n'y a rien là qu'on peut appeler une percée. C'est l'échelle à laquelle ç'a été porté qui est impressionnante, mais les graines étaient déjà plantées par les travaux précédents. »

TERMINÉ, L'EXODE ?

Auparavant, un panel composé de quatre responsables de fonds de capital de risque avait déjà souligné le contexte extraordinairement favorable pour le Canada.

« Il y a eu plus d'investissements au Canada dans les quatre dernières années que dans les dix précédentes, estime Alex Baker, partenaire à Relay Ventures, un fonds torontois qui finance les jeunes entreprises en informatique mobile. Et Donald Trump fait un bon travail pour nous aider à garder nos experts. »

Cet exode vers les États-Unis, notamment vers les géants de la Silicon Valley, n'est plus l'épouvantail qui affaiblissait la recherche au Canada il y a quelques années, estime Jean-Sébastien Cournoyer, cofondateur de Real Ventures. « Les gens quittaient [le pays] dans le passé parce qu'il n'y avait pas de densité, pas assez d'entrepreneurs avec des projets. Ça change. Dans cinq ans, nous allons cesser de nous poser cette question [de l'exode des cerveaux]. »