Un conseiller du CRTC peut-il y siéger tout en critiquant publiquement et en poursuivant (trois fois plutôt qu'une) l'organisme réglementaire ? L'ex-conseiller Raj Shoan aura bientôt la réponse à cette question à la suite d'un litige ayant exposé des divergences et un climat tendu dans les hautes sphères du CRTC.

L'ex-conseiller du CRTC conteste devant les tribunaux la révocation de son mandat par le gouvernement Trudeau en juillet dernier. Nommé conseiller du CRTC pour l'Ontario en juillet 2013, Raj Shoan estime avoir été renvoyé du tribunal administratif « sans motif valable », d'autant plus que la Cour fédérale délibérait au même moment dans un autre litige l'opposant au CRTC dans un dossier de harcèlement.

Les conseillers du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) - un tribunal administratif qui réglemente la radio, la télé et les télécoms - sont nommés par le gouvernement fédéral « à titre inamovible » durant leur mandat de cinq ans. Par conséquent, ils ne peuvent pas être démis de leurs fonctions par Ottawa sans un « motif valable ».

Dans le cas de M. Shoan, Ottawa lui reproche notamment ses actions et ses déclarations publiques négatives à l'égard du CRTC, souvent concernant ses poursuites civiles contre l'organisme. Ottawa lui reprochait aussi d'avoir harcelé une employée du CRTC, mais ces reproches étaient basés sur une enquête qui vient d'être annulée par la Cour fédérale.

RELATIONS TENDUES

Les relations entre M. Shoan et le CRTC étaient très tendues. M. Shoan a poursuivi l'organisme réglementaire à trois reprises depuis 2015. Deux fois pour contester le pouvoir du président du CRTC Jean-Pierre Blais d'affecter les commissaires à certaines audiences. Une fois pour contester les conclusions d'une enquête pour harcèlement envers une employée du CRTC.

En septembre 2014, une cadre du CRTC dépose une plainte pour harcèlement contre M. Shoan à la suite de sept échanges de courriels. À la suite de la plainte, le CRTC embauche une enquêteuse qui conclut que la plainte pour harcèlement est fondée. Le CRTC met ses conclusions en application - M. Shoan devait notamment communiquer avec les employés par le truchement du bureau du président Blais.

Tout en continuant de siéger au CRTC, M. Shoan conteste les conclusions de l'enquête à son égard devant la Cour fédérale, qui entend sa cause le 21 juin dernier. Deux jours plus tard, le gouvernement Trudeau révoque son mandat - une « attaque collatérale inappropriée » sur le dossier de harcèlement déjà en Cour fédérale, selon M. Shoan.

Dans sa décision rendue vendredi, la Cour fédérale juge que l'enquête pour harcèlement du CRTC doit être annulée. Le juge Zinn conclut que l'enquête était « injuste » sur le plan procédural et que l'enquêteuse « suivait les directives décrites par le président [du CRTC] dans son témoignage » au lieu d'examiner la plainte « de façon juste et objective ». Le juge Zinn ne statue pas sur le harcèlement en milieu de travail qu'aurait commis ou non M. Shoan à l'égard de l'employé ayant déposée la plainte.

LES CINQ MOTIFS D'OTTAWA

Raj Shoan, un avocat qui avait travaillé au CRTC puis chez Astral et à la CBC avant d'être nommé conseiller du CRTC, conteste maintenant en Cour fédérale sa révocation par le gouvernement Trudeau. Mardi dernier, il a demandé une décision interlocutoire lui permettant de retourner siéger au CRTC durant le litige sur la fin de son mandat.

En plus du dossier de harcèlement, Ottawa s'est basé sur quatre motifs pour révoquer son mandat, selon une lettre envoyée en février dernier par la ministre du Patrimoine canadien Mélanie Joly. Primo, Ottawa lui reproche ses « déclarations publiques négatives à l'égard du CRTC ». Les actions de M. Shoan « ont un effet nocif sur l'intégrité du CRTC et la confiance du public » envers le CRTC, écrit la ministre Joly. Le deuxième reproche : avoir dévoilé des informations confidentielles en Cour fédérale - informations devenues publiques avec l'annulation par la Cour de l'ordonnance de confidentialité.

La ministre Joly était aussi préoccupée par deux rencontres « inappropriées » de M. Shoan avec Byrnes Media (qui avait demandé une radio FM) et le service Shomi. M. Shoan fait valoir que la demande de Byrnes Media n'a pas été examinée et que Shomi n'est pas réglementé. En quatrième lieu, Ottawa lui reproche les « effets de ses actions sur les activités internes du CRTC », notamment le fait de ne pas respecter les procédures en place. Selon la ministre Joly, ces quatre motifs « s'ajoutent » à la plainte de harcèlement ayant fait l'objet du litige en Cour fédérale.

M. Shoan a déclaré vendredi dernier être « engagé à défendre l'intégrité du CRTC », où il veut siéger à nouveau. En raison des procédures judiciaires, la ministre Joly n'a pas commenté le dossier hier. Le CRTC, qui a indiqué être « déterminé à assurer un milieu de vie sain, exempt de harcèlement et respectueux », n'a pas précisé s'il allait porter la cause en appel.