Le problème ne date pas d'hier, l'esprit entrepreneurial vacille au Québec. Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas d'intéressés. Cinq jeunes finissants universitaires viennent d'ailleurs de s'engager à faire le saut dans le cadre du concours pancanadien The Next 36, avec l'appui de gens d'affaires reconnus au Canada.

Bryan Altman, Ivelin Bratanov et Zachary Lefevre vont lancer une entreprise. Ils ne savent pas encore ce qu'elle fera, mais ils sont décidés. De toute façon, ils n'ont pas le choix, c'est l'aventure dans laquelle ils se sont embarqués en s'inscrivant au concours The Next 36.

Les trois jeunes hommes sont âgés de 21 à 24 ans. Bryan et Zachary ont terminé leurs études à l'Université McGill l'an dernier. «Ivo» en a encore jusqu'à l'été 2016.

Ensemble, ils constituent le trio parfait, du moins sur papier. Bryan est diplômé en génie mécanique, Ivo est un développeur de logiciels qui étudie en informatique et Zak, un diplômé en études asiatiques qui a déjà suivi ses parents quatre ans en Chine, dispose déjà d'une expérience d'entrepreneur et en gestion des opérations.

Comme 69 autres jeunes entrepreneurs potentiels, ils ont été sélectionnés parmi 630 inscriptions pour participer à une fin de semaine de sélections finales qui s'est déroulée à Toronto, à la mi-janvier. Le programme en a finalement retenu 38, regroupés en 12 équipes de trois ou quatre.

«Je crois que ce qui a attiré les gars de mon équipe à participer au programme, plus que l'accès potentiel à du capital de risque, c'est la possibilité de travailler avec d'autres personnes de haut calibre et d'avoir accès aux mentors de fort niveau», estime Zak Lefevre, qui admet qu'il était lui-même un peu hésitant avant de se rendre au week-end de sélection.

«Ils nous sélectionnaient, mais c'est un peu comme dans une entrevue pour un travail, je les sélectionnais aussi, pour savoir si je voulais vraiment participer. Les gens qui sont venus faire des présentations lors de ce week-end m'ont vraiment renversé.»

Bryan, Ivo et Zak ne se connaissaient pas avant le concours et n'ont pas choisi de s'unir. «Ce sont les organisateurs qui font les équipes. C'est un peu comme un mariage arrangé», explique Bryan Altman.

Ce mariage arrangé complique forcément un peu les choses.

«C'est peut-être l'un des points faibles du concours, croit M. Altman. La difficulté est de trouver un projet qui passionne tout le monde. Se lancer en affaires est difficile et normalement, on le fait dans un domaine qui nous passionne.»

Réunis depuis trois semaines, les comparses étudient toutes les possibilités.

«On a une feuille Excel dans laquelle on compare les idées sur la base de différents critères comme la faisabilité ou notre attrait personnel, mais ce n'est pas simple. Dès que quelqu'un change la note attribuée à un critère, il y a un nouveau gagnant qui émerge», résume M. Altman.

En compagnie de leur mentor Janet Bannister, fondatrice de Kijiji au Canada, ils devront arrêter leur choix bientôt s'ils veulent disposer de suffisamment de temps pour mener leur projet à bien. Il y a beaucoup de pain sur la planche.

«Je m'attends à ce que ce soit difficile, avec beaucoup de nuits blanches, de hauts et de bas, prévoit d'ailleurs Ivo. Mais j'ai hâte d'apprendre ce que c'est que de lancer une entreprise à partir de rien, d'avoir l'opportunité de bâtir mon réseau, particulièrement avec les autres participants, et d'en apprendre sur les dynamiques d'équipe.»

Bryan Altman

Âge: 24 ans

Formation: Baccalauréat en génie mécanique, McGill

Projet: À déterminer. La productivité, la condition physique, le sommeil et les énergies renouvelables, en particulier le solaire, l'intéressent.

Expérience professionnelle: Dès la fin de ses études, il s'est joint à Knight Therapeutics, fondée par l'entrepreneur Jonathan Goodman. «Je veux être un entrepreneur, et ce travail me donne l'occasion d'apprendre des meilleurs.»

- J.-F. Codère 

   


Ivelin Bratanov

Âge: 21 ans

Formation: Étudie au baccalauréat en informatique à McGill.

Projet: À déterminer. Arrivé de Bulgarie à l'âge de 10 ans, il est un grand amateur de sports, de volleyball en particulier. Il est aussi curieux à propos de l'avenir de l'automobile, électrique ou autopilotée, et du monde du voyage.

Expérience professionnelle: Sa principale expérience de travail est un stage de huit mois chez Ericsson. «J'ai vraiment aimé ce stage, mais j'ai trouvé que comme employé d'une grande entreprise, on n'a pas l'occasion de faire une grosse contribution et de voir notre travail avoir un véritable impact sur les gens.»

- J.-F. Codère     

   

Zachary Lefevre

Âge: 22 ans

Formation: Baccalauréat en arts de McGill, composé d'une majeure en études asiatiques et de mineures en informatique et en finance

Projet: À déterminer. L'internet des objets et les énergies renouvelables l'attirent. «On ne cherche pas un marché qui est déjà grand et duquel on pourrait prendre une partie, mais un marché minuscule maintenant qui deviendra énorme dans 20 ans.»

Expérience professionnelle: Il a mis sur pied en septembre 

dernier Peintres Signature. Il y invite des étudiants à devenir 

de mini-entrepreneurs en peinture résidentielle, après avoir 

lui-même bénéficié d'une expérience semblable.

«C'est une industrie simple, on y apprend à trouver des clients, 

à gérer... Je voulais aider d'autres étudiants à apprendre 

ce que j'ai appris.»

Christina Moro: «Pour moi, c'est de la recherche appliquée»

Âge: 22 ans

Formation: Baccalauréat en génie mécanique, Université McGill

Projet: Mettre sur pied une plateforme permettant à ses membres de se rencontrer et de commenter les événements auxquels ils assistent.

Le goût de l'entrepreneuriat, Christina Moro affirme l'avoir d'abord hérité de son père brésilien et de sa mère portugaise, elle qui est née à Laval il y a 22 ans. «Mes parents m'ont toujours encouragée à chercher de nouveaux défis.» Elle a eu la piqûre définitive lors d'un séjour de quatre mois en Suisse, à l'École polytechnique fédérale de Lausanne. «Il y a une culture d'entrepreneuriat assez forte là-bas. Pour moi, c'est quelque chose que j'ai toujours voulu faire, de la recherche appliquée.»

Elle terminera cette année son baccalauréat en génie mécanique, juste à temps pour déménager à Toronto à la fin du printemps. Elle fait équipe avec deux autres gagnants de Next 36, des étudiants de l'Université McMasterville à Hamilton, Janelle Hinds et Joshua Segeren. La première étudie en génie biomédical et électrique, le second en génie mécatronique et en management. «On travaille ensemble par Skype. Ils sont très motivés, il faut que ça bouge, c'est assez intense. On a un premier pitch en mars, il faut se vendre.»

Le trio s'estime chanceux: son idée d'entreprise est déjà trouvée et approuvée par son mentor, Paul Gilbert, PDG de Quanser, spécialisée dans les systèmes de contrôle. Il s'agit d'une «plateforme», qui pourrait prendre la forme d'une application mobile, qui permet à ses membres d'«interagir en temps réel autour d'eux, de dire comment ils se sentent, où ils sont, ce qui se passe d'intéressant à tel endroit». «Ça se peut que ça change, on teste notre idée, on la pousse à fond, on fait des recherches», explique Christina. Si toutes les équipes disposent d'un budget de départ de 5000$, aucune n'est assurée d'obtenir du financement supplémentaire, rappelle-t-elle. «Le défi, c'est d'innover.»

- Karim Benessaieh

David Bureau : «Comme un poisson dans l'eau»

Âge: 22 ans

Formation: Baccalauréat en administration des affaires, finance, Université de Sherbrooke

Projet: Un logiciel ou une application mobile qui permettrait d'«optimiser la gestion de services à domicile».

À 22 ans, David Bureau a déjà un CV qui donne le tournis. Il a fondé trois entreprises, est conseiller spécial à l'Accélérateur de création d'entreprises technologiques, a contribué à lancer l'organisme d'aide humanitaire Marlène sans frontière et est vice-président, finances, de Novaderma, une entreprise de «médico-esthétique sans chirurgie».

Il est également le seul Québécois d'une université francophone retenu par Next 36. «On sait qu'au Québec, l'entrepreneuriat n'est pas valorisé. Mais il faut qu'on se déniaise. On est capables, on a du monde super brillant ici.» Sans fausse modestie, et ses réalisations semblent en témoigner, il se décrit sur sa page LinkedIn comme «organisé, discipliné, persévérant et excellent leader».

Sa sélection il y a deux semaines et le tourbillon dans lequel il est prêt à s'engager sont loin de l'effrayer. «J'aime vraiment ça, je me sens comme un poisson dans l'eau. J'ai commencé à flirter avec l'entrepreneuriat dès le cégep.»

Son mentor est Michael McCarthy, à la tête de la branche canadienne de Dealertrack Technologies. Il fait équipe avec trois autres étudiants ontariens, spécialisés en design, en informatique et en génie. «On a une bonne chimie. On travaille beaucoup pour le moment chacun de notre côté, mais on se donne des échéances bien précises.»

Leur projet d'entreprise a été trouvé à partir d'un constat: l'industrie des services à domicile, comme les aides-ménagers ou les infirmières, «a des problèmes de gestion». «Il y a peut-être moyen d'optimiser ça avec un logiciel ou une application mobile», estime-t-il. Les quatre jeunes se donnent cependant encore un peu de temps pour préciser leur concept. «C'est encore flou. Au départ, on voulait regarder du côté de l'énergie solaire. Ce qui est sûr, c'est qu'en mai, il faut qu'on ait quelque chose de solide.»

- Karim Benessaieh

Le programme The Next 36: entrepreneurs recherchés

Le programme The Next 36 s'adresse aux étudiants universitaires qui sont à moins de deux ans de leur diplôme de premier cycle ou qui viennent d'obtenir celui-ci.

«Le champ d'études n'importe pas, indique M. French, bien que généralement, beaucoup de nos participants proviennent de programmes d'ingénierie ou de commerce.»

Le programme cherche aussi des étudiants disposant d'habiletés de meneurs et d'une certaine expérience ou intérêt entrepreneurial.

11% de Québécois

Avec 5 participants sur 38 (13%), le Québec est sous-représenté en regard de sa population. Il faut lorgner du côté de la participation plutôt que de la sélection pour trouver la clé. Des 630 inscriptions, 70 (11%) provenaient du Québec.

Parmi les cinq participants québécois, un seul est issu d'une université francophone. Il n'y en avait aucun l'an dernier et un seul en 2013, pour un total de 2 sur 14. Dix provenaient de McGill.

«Mon hypothèse, c'est que le programme se déroule en anglais, ce qui en rebute peut-être certains», estime Jon French, directeur du marketing du programme, qui attribue aussi la forte représentation de McGill à la promotion faite par la direction de l'université.

Il faut dire aussi que le programme est centré à Toronto et que tous les mentors, sauf exception, y sont établis. Le Québécois LP Maurice faisait toutefois partie du groupe l'an dernier.

De 5000$ à 65 000$

Chacune des entreprises formées par les équipes de participants reçoit 5000$ dès l'ouverture de son compte de banque. La suite dépend des progrès réalisés, mais ne peut dépasser 65 000$.

«En gros, il y a des points de contrôle chaque mois, où l'équipe doit atteindre certains objectifs. Généralement, le financement additionnel vient par tranches de 10 000$ ou 15 000$, mais les équipes doivent démontrer à notre comité d'investissement ce qu'elles feront de cet argent et pourquoi elles en ont besoin», explique Jon French.

Le programme accapare au maximum 8% des capitaux de chacune des jeunes entreprises. Une équipe particulièrement rapide qui réussirait à générer elle-même les liquidités dont elle a besoin en cours de route peut se priver des injections additionnelles et conserver une plus grande part de ses actions.

Huit mois de travail

Le programme The Next 36 dure huit mois. Durant les quatre premiers, les participants sont plus ou moins livrés à eux-mêmes et communiquent entre eux comme ils le peuvent pour faire progresser leur projet.

En mai, ils seront tous réunis à Toronto pour un stage intensif de quatre mois, ponctué de séances de formation et de conférences.

Succès et échecs

Malgré l'encadrement dont elles disposent, environ les deux tiers des entreprises formées pendant le concours finissent par échouer, estime M. French. «Nous savons que plusieurs ne réussiront pas, mais nous souhaitons alors que les participants aient acquis l'expérience nécessaire pour faire de leur prochain projet un succès.»

C'est le cas, entre autres, de Stephen Lake, de la cohorte de 2011, qui est ensuite devenu cofondateur de Thalmic Labs, créatrice du bracelet Myo. Celle-ci a conclu en 2013 une première ronde de financement de 14,5 millions de dollars.

MobiCare, une entreprise fondée par des participants de la cohorte de 2012, dont Omer Dor de McGill et Samantha Juraschka de Bishop's, a été acquise en avril 2013 par l'américaine Masonic Aging Services.

Kira Talent, aussi de la cohorte 2012, a conclu en septembre 2013 un financement de 2 millions. Sa plateforme d'entrevues vidéo est d'ailleurs employée par le programme lors de la sélection des candidats.

- Jean-François Codère