Les ventes en France de journaux papier se sont emballées cette semaine, portées par la vague de soutien à Charlie Hebdo, mais cette embellie dans une presse en crise pourrait n'être qu'un feu de paille, selon des experts.

Files d'attente devant les kiosques à journaux le jour du nouveau Charlie Hebdo, réimpression de Libération ou du Canard enchaîné, report sur d'autres titres: comme à ses grandes heures, la presse papier connaît un véritable engouement ces jours-ci.

Jeudi 8 janvier, au lendemain de l'attaque contre Charlie Hebdo qui a fait 12 morts, la presse quotidienne nationale a vu ses ventes globales en kiosques bondir de 600 000 exemplaires pour un jour normal à 1 million, selon le Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN).

Libération a quintuplé ses ventes ce jour-là, tandis que Les Échos et Le Figaro ont vendu deux fois plus que d'habitude.

Le Parisien/Aujourd'hui en France (+ 50%), Ouest-France (+36%) et même le quotidien sportif L'Équipe (+34%), qui avait aussi rendu hommage à Charlie Hebdo avec une caricature géante à la une, ont connu une hausse de leur diffusion en kiosques, selon le SPQN.

Ouest-France, qui diffuse en moyenne à 725 000 exemplaires par jour, indique avoir vu ses ventes augmenter de plus de 15% au cours du week-end qui a suivi le dénouement sanglant des prises d'otages, et de 28% lundi.

«Il y a plusieurs zones où on a manqué de numéros», abonde Jean Viansson-Ponté, le président du Syndicat de la presse quotidienne régionale (SPQR), alors que le taux d'invendus pour ces titres est généralement de 15%.

«Il y a un appétit incontestable pour l'imprimé qui développe plus les informations et qui est plus fiable que ce que l'on a pu voir sur internet ou les chaînes d'information en continu», juge-t-il.

Les éditeurs de la presse quotidienne nationale ont eux observé une progression de 40 à 50% de leurs ventes le week-end dernier.

«Réflexe papier»

Mercredi, alors que le numéro des survivants de Charlie Hebdo était en rupture d'approvisionnement dès 10h00 du matin, les lecteurs se sont reportés sur d'autres titres.

«Même si on n'a plus de Charlie. On a beaucoup plus de monde que d'habitude. Les gens achètent d'autres journaux», expliquait mercredi Murielle Bellee, vendeuse dans une maison de la presse à Caen.

«À 7h15, tous les Charlie Hebdo sont partis, mais également les Canard enchaîné et Libération», témoignait Michel, gérant d'un tabac-presse dans le centre-ville de Toulouse.

Dans le sillage de Charlie Hebdo, Le Canard enchaîné a décidé de réimprimer massivement, portant son tirage à près d'un million d'exemplaires.

Libération, qui avait tapissé sa couverture de vignettes de la une de Charlie Hebdo, a lui aussi décidé de réimprimer mercredi, a indiqué son directeur opérationnel Pierre Fraidenraich.

Toutefois, pour l'historien des médias Patrick Eveno, «l'information se passe de moins en moins sur la presse papier. Là, il y a le côté 'on veut revivre des choses, on veut communier' donc il y a un petit sursaut pour le papier, mais le 'breaking news', l'actu chaude, elle se passe ailleurs maintenant, c'est beaucoup plus sur le numérique».

L'effet Charlie sera-t-il durable? Si l'ensemble du secteur espère que les citoyens vont retrouver le «réflexe papier», il est encore trop tôt pour pouvoir se prononcer, estiment les experts interrogés par l'AFP.

Autre conséquence, selon Patrick Eveno, dimanche, dans les manifestations, «il n'y avait pas que les policiers qui étaient applaudis. Il y avait aussi la presse. L'intersyndicale des journalistes a été très applaudie».

«Le blason des journalistes a été un peu redoré, la confiance (dans les médias, NDLR) également. Ça freinera peut-être un peu la chute des journaux. Mais les usages ont complètement changé, les gens ne vont pas rechanger pour revenir à ce qu'ils étaient il y a dix ans ou vingt ans», conclut-il.