Pour la première fois depuis huit ans, la Réserve fédérale américaine (FED) va augmenter son taux directeur en 2015. Suivront sans doute la Banque d'Angleterre et peut-être aussi celle du Canada, en fin d'année. Quant à la Banque centrale européenne, il reste à savoir jusqu'où sera-t-elle prête à plonger dans les eaux inconnues de la détente quantitative. Huit économistes partagent leurs pronostics.

La présidente de la Réserve fédérale, Janet Yellen, a été claire tout en se laissant de la marge de manoeuvre: la Fed sera patiente, ce qui signifie aucun resserrement monétaire avant au moins les deux premières fixations du taux directeur, en janvier et en mars.

Cela nous mène donc au plus tôt en avril. Une première augmentation du taux directeur, qui évolue dans une fourchette de 0% à 0,25% depuis décembre 2008, sera sans doute suivie de plusieurs autres, selon nos experts qui ne s'entendent pas toutefois sur le moment du premier resserrement: printemps ou été.

«Ce sera plus tôt que ce à quoi les marchés s'attendent, soutient Avery Shenfeld, de CIBC, qui prévoit par conséquent une forte réaction après une première hausse dès avril. Nous nous attendons donc à une deuxième surprise plus tard dans l'année quand la Fed prendra une pause prolongée au taux de 1,25%, pause qui s'étendra pendant la plus grande partie de 2016.»

À cette perception d'une Fed initialement très dynamique dans son resserrement s'oppose celle de Sébastien Lavoie, de Valeurs mobilières Banque Laurentienne, qui voit plutôt un premier tour de vis en juin. «Des hausses subséquentes sont possibles, si les investisseurs saisissent l'approche à pas de tortue de Janet Yellen, qui veut éviter la hausse prononcée des taux obligataires comme celle orchestrée sans le vouloir par Ben S. Bernanke, en 2013.»

Bref, patience et prudence.

Il y a une belle unanimité parmi nos experts sur la robuste croissance que devrait connaître l'économie américaine. Elle est grandement avantagée par la chute des cours du pétrole ,qui va stimuler la consommation. Au surplus, elle souffre moins du ralentissement économique observé en Europe ou dans les pays émergents puisqu'elle est, somme toute, peu tributaire de ses exportations. La force du billet vert stimulera la consommation. Le rythme de création d'emplois ne justifie plus un taux directeur aussi accommodant.

Le Canada devra trouver sa niche

L'économie canadienne va profiter du dynamisme américain, mais la chute des cours de l'or noir l'afflige davantage: le Canada est exportateur net de pétrole, les États-Unis, un importateur. «L'impact sur les termes de l'échange et le revenu national sera considérable, prévient Stéfane Marion, de la Banque Nationale. Nous voyons le PIB nominal croître à seulement 3% en 2015, soit la plus faible performance annuelle jamais enregistrée en dehors d'une période de récession.»

Pas surprenant dès lors que la Banque du Canada ne bougera pas cette année, prédit-il.

Plusieurs sont d'accord avec lui. Les plus hardis voient tout juste une ou deux petites hausses à l'automne, décrétées par l'équipe de Stephen Poloz, soit après les élections fédérales, bien que la conjoncture économique justifie à elle seule une première hausse si tardive. Le taux directeur est fixé à 1% depuis septembre 2010.

«Ce qui distingue l'économie canadienne, c'est qu'elle a déjà atteint des sommets (les investissements dans les ressources, le marché de l'habitation, la consommation), note Derek Holt, de Scotia Capitaux. La Banque doit prendre grand soin de ne pas brasser la cage, compte tenu surtout de nos exportations moins concurrentielles.»

Essoufflement au pays de Sa Gracieuse Majesté

Autre économie pétrolière, le Royaume-Uni a connu une forte croissance en 2014 qui a nourri les spéculations sur une hausse du taux directeur fixé à 0,5% depuis la récession. Toutefois, l'or noir de mer du Nord n'a plus l'importance qu'il a eue durant le règne de Margareth Thatcher ou de Tony Blair. En outre, le principal débouché des exportations britanniques, c'est l'Europe continentale. Cela place la Banque d'Angleterre dans une position un peu semblable à celle de la Banque du Canada, bien que son taux directeur soit bien plus bas.

«La Banque d'Angleterre va ressembler davantage à la Fed qu'à la Banque du Canada en 2015, prévoit Douglas Porter, de BMO Marchés des capitaux. Le risque de ce scénario, c'est une rechute en crise de la zone euro qui va diminuer les perspectives d'exportations du Royaume-Uni.» Il croit cependant à un léger redressement de la zone euro.

Craig Wright, de RBC, jauge à 2,6% la croissance britannique l'an prochain, soit moins que celle des États-Unis, mais plus que la canadienne, ce qui amènera l'équipe de Mark Carney à serrer la vis en milieu d'année. «Le processus sera à la fois tributaire des indicateurs économiques et mené avec prudence, à petits pas, facilement rattrapables, s'ils se révèlent déplacés.»

Le mystère Europe

Reste la grande énigme de l'année: jusqu'où la Banque centrale européenne sera-t-elle prête à aller pour sortir la zone euro de sa léthargie et des risques de déflation après avoir abaissé son taux directeur à 0,05%?

«Il lui sera très difficile d'acheter des obligations souveraines, comme l'a fait la Réserve fédérale, juge Craig Alexander de Groupe financier Banque TD. Elle devra se montrer créative dans la conduite d'une politique monétaire non conventionnelle.»

Beaucoup d'investisseurs nord-américains ne semblent pas comprendre qu'elle ne peut, selon sa charte, monétiser la dette d'un État comme le font présentement la Banque Nationale suisse ou la Banque du Japon ou comme l'ont fait la Fed et la Banque d'Angleterre. La capacité d'agir de Mario Draghi et compagnie paraît plus restreinte.

En plus, la BCE s'est montrée jusqu'ici réactive plutôt que proactive, alors qu'une initiative musclée paraît nécessaire.

«Elle élargira probablement l'éventail de titres privés qu'elle acquiert, entre autres en achetant des obligations corporatives, prévoit François Dupuis de Desjardins. L'opposition ferme de l'Allemagne ne laisse toutefois pas entrevoir des achats massifs de dettes souveraines.»

Reste à voir si le pays d'Angela Merkel assouplira ses réticences, si son économie est trop affaiblie par les autres pays de la zone ou par la récession russe, un de ses grands marchés d'exportation.