Quelle que soit l'appréciation qu'on peut faire des données sur le marché du travail québécois publiées vendredi, force est de constater qu'il est bien hardi de soutenir que l'économie aura ajouté 250 000 emplois d'ici octobre 2018.

Cela va tout simplement à l'encontre des données démographiques les plus récentes, telles qu'elles sont résumées dans le document détaillant le mini-budget présenté la semaine dernière par le ministre des Finances Carlos Leitao.

D'aucuns ont paru encouragés par l'addition de 19 600 emplois à temps plein en novembre, selon les données volatiles de l'Enquête sur la population active (EPA). Le fait demeure qu'il en manquait toujours plus de 9000 par rapport à décembre et, surtout, que la population active, celle qui détient ou cherche un emploi, a diminué de 14 700 personnes cette année alors que la population de 15 ans et plus a augmenté de 48 000.

Pour l'année qui s'achève et la prochaine, Québec estime au total à 30 200 les emplois additionnels. En juin, il en voyait plutôt 77 600. Il faudrait donc en créer 220 000, de 2016 à 2018, pour que soit atteint l'objectif ambitieux fixé par le Parti libéral en campagne électorale et réitéré encore dernièrement par le premier ministre Philippe Couillard.

Le ministère des Finances estime qu'un certain rattrapage est probable, compte tenu de la croissance, si modeste soit-elle à 1,5%. Les données de l'EPA pour novembre semblent lui donner raison. Toutefois, la barre des 250 000 reste trop haute, si on tient compte que la cohorte des 15-64 ans ne grossit plus, que les investissements privés sont faibles et que les dépenses en recherche et développement, garantes de gains de productivité, sont en baisse depuis plusieurs années.

D'ici la fin de 2018, les projections démographiques montrent que la cohorte des 15 à 64 ans, où se retrouve l'écrasante majorité des travailleurs, va diminuer de 15 000 personnes. Pendant ce temps, la population québécoise va augmenter de 324 700 personnes. Cela représente un défi colossal pour la santé future des finances publiques et une entrave à la croissance.

Les efforts pour augmenter le taux d'emploi, c'est-à-dire la proportion des 15-64 ans qui occupe un emploi, ou le taux d'activité (la proportion qui occupe ou cherche un emploi) ont déjà donné leurs meilleurs fruits.

Le taux québécois d'emploi dans cette cohorte s'élevait à 72,2% l'an dernier contre 72,5% au Canada, mais le taux d'activité québécois de 78,2% dépassait le canadien d'un dixième.

Le programme de garderies subventionnées a sûrement joué un rôle. Le taux d'activité des femmes (de 15 ans et plus) est passé de 54,2% à 61,0% entre 1997 et 2013. Celui des femmes de 25 à 44 ans a rattrapé et largement dépassé le taux ontarien entre 1996 et 2013.

Québec a ainsi comblé en grande partie l'écart qui le séparait de la moyenne canadienne. Il était de 3,6 points de pourcentage en 1997, il n'était plus que de 1,1 point l'an dernier.

Des progrès restent possibles néanmoins, si on considère que le taux d'emploi des 60 à 64 ans chez les deux sexes, à 41,8%, accuse un retard de 8,2 points sur le taux canadien, lui-même diminué par la faiblesse du taux québécois. Il serait surprenant néanmoins qu'il soit comblé à court terme, notamment à cause de l'écart plus grand du taux d'activité des hommes et des femmes dans cette cohorte qui n'a pu bénéficier des CPE.

Pour garder sur le marché du travail la main-d'oeuvre expérimentée des 60-64 ans, il ne suffit pas de rendre la retraite moins attrayante, comme on l'a fait avec le resserrement de l'accès aux prestations de la Régie des rentes et, bientôt, de la Sécurité de la vieillesse. Il faut de la croissance, seule capable d'encourager la poursuite d'une carrière.

Or, les investissements pour assurer des gains de productivité et faciliter le travail ne sont pas au rendez-vous cette année, pas plus que l'an dernier.

En outre, les données de l'Institut de la statistique sur l'activité scientifique et technique publiées la semaine dernière sont tout, sauf encourageantes.

Les dépenses en recherche et développement (R-D) faites par les entreprises, les universités et le gouvernement étaient en baisse de 4,4%, en 2012. Pis, la baisse des dépenses en R-D des entreprises, de 5,4%, était la sixième d'affilée.

Pour la première fois en 10 ans, le ratio des dépenses en R-D par habitant était plus faible au Québec que le taux moyen des 34 pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Même si 2015 offre de meilleures perspectives que 2013 et 2014, comme le soulignait samedi notre exercice annuel de Boules de cristal, force est de constater que le faible potentiel de croissance du Québec ne permet plus d'espérer la création de 50 000 emplois par année, encore moins de quelque 70 000, au moins, d'ici la fin de la décennie.