Il y a un an, Daniel Robichaud assurait qu'il allait conserver PasswordBox jusqu'à ce que l'entreprise devienne un acteur incontournable de son secteur. Mais hier, l'entrepreneur en série montréalais a annoncé la vente de son dernier bébé à Intel pour une somme non divulguée.

«Le moment était venu de décider la voie à emprunter pour assurer la croissance soutenue de l'entreprise, a-t-il expliqué. Nous aurions pu le faire en demeurant une entité indépendante, mais cela aurait été moins rapide. Mon but est toujours de bâtir quelque chose de gros, alors je tiens promesse là-dessus.»

PasswordBox a développé une application gratuite disponible pour Windows, Mac, iOS et Android qui permet de gérer les mots de passe de différents services (Google, Apple, Facebook, Dropbox, etc.). L'outil a été téléchargé 14 millions de fois jusqu'ici, et des millions de personnes l'utilisent quotidiennement. Plusieurs des innovations de PasswordBox sont en voie d'être brevetées.

Le meilleur partenaire

M. Robichaud veut convaincre des centaines de millions d'internautes excédés par la multiplication des mots de passe d'adopter son produit. Il en est venu à la conclusion qu'Intel, dont les microprocesseurs sont présents dans la majorité des ordinateurs du monde, était le meilleur partenaire pour atteindre cet objectif. PasswordBox sera intégrée à la division sécurité d'Intel, constituée au début de l'année à partir des activités de McAfee, acquises en 2011 au coût de 7,7 milliards US.

La genèse de la transaction remonte à 18 mois lorsque Daniel Robichaud a rencontré pour la première fois Mark Hocking, directeur général de l'unité d'affaires Safe Identity d'Intel, à San Francisco. «Ç'a tout de suite cliqué, a confié M. Hocking. Nous voulions tous les deux trouver une solution au problème grandissant des mots de passe.»

L'acquisition donne l'occasion à Intel de se positionner dans ce domaine qui suscite de plus en plus d'intérêt. Ces derniers mois, plusieurs épisodes de vols massifs de mots de passe ont défrayé les manchettes (eBay, Dropbox, Gmail, etc.)

Des politiciens enthousiastes

Le maire Denis Coderre et deux ministres provinciaux ont assisté à la conférence de presse d'hier, ce qui est plutôt inusité pour l'annonce de la vente d'une entreprise locale à des intérêts étrangers. Les élus se sont réjouis de l'intention d'Intel de maintenir les activités de PasswordBox à Montréal et de les faire croître en y investissant davantage.

Dans son communiqué, Intel a indiqué hier que l'acquisition lui permettrait «d'appuyer de futures innovations qui seront annoncées ultérieurement». M. Hocking a avancé qu'il pourrait s'agir de moyens autres que les mots de passe pour s'identifier. Rappelons que plus tôt cette année, PasswordBox a conclu une entente de collaboration avec la jeune entreprise torontoise Nymi. Celle-ci s'apprête à commercialiser un bracelet qui utilisera le pouls d'un utilisateur pour lui permettre de se connecter à ses comptes en ligne.

PasswordBox a réalisé l'an dernier un financement de 6 millions auquel avaient notamment participé le régime de retraite des employés municipaux de l'Ontario, OMERS, et deux dirigeants de Facebook. Les fonds avaient notamment permis à l'entreprise d'acquérir l'Américaine Legacy Locker, qui facilitait l'accès aux comptes en ligne d'une personne décédée pour ses proches. Le service a été intégré à PasswordBox.

Ceci dit, M. Robichaud reconnaît que les applications PasswordBox ne sont pas encore parfaites. Par exemple, le service fonctionne mal avec les applis installées sur les iPhone et les iPad. «Mais je suis convaincu que PasswordBox est l'appli la plus facile à utiliser sur le marché», insiste-t-il. Parmi ses concurrents les plus connus, notons 1Password, LastPass, Keeper, KeePass, Roboform et Dashlane.

PasswordBox est la sixième jeune entreprise que Daniel Robichaud fonde et vend. Mais hier, il a promis de rester chez PasswordBox pour l'avenir prévisible. Aujourd'hui, il doit annoncer des initiatives visant à «redonner» à la communauté techno montréalaise.

Des raisons de se réjouir pour Montréal

Au premier abord, la vente d'une jeune entreprise prometteuse à des intérêts étrangers n'apparaît pas comme une bonne nouvelle. Il y a pourtant plusieurs raisons de se réjouir de la transaction Intel-PasswordBox, selon les spécialistes de l'industrie. 

1. Une validation de l'écosystème montréalais

«Ça envoie un signal important sur la vitalité de l'écosystème montréalais, souligne Sylvain Carle, directeur général de l'accélérateur FounderFuel. Ça montre que nous sommes arrivés à un niveau de maturité et que nous pouvons intéresser de grandes entreprises avec nos innovations technologiques.» De son côté, Robert Simon, associé directeur principal de BDC Capital à Calgary, se réjouit de voir l'émergence d'entrepreneurs en série. «Ça crée un cercle virtueux», dit-il.



2. De nouveaux débouchés


Avec l'acquisition de PasswordBox, la multinationale Intel met fermement les pieds à Montréal, où elle n'était à peu près pas présente. Cela pourrait être bénéfique à d'autres entreprises en démarrage québécoises. «Quand j'étais chez Twitter en Californie, j'ai ouvert la porte à des compagnies de Montréal, raconte Sylvain Carle. Développer des contacts dans le milieu, c'est important.»



3. Une visibilité accrue


Aux États-Unis et en Europe, plusieurs médias spécialisés en nouvelles technologies ont fait état de l'acquisition de PasswordBox par Intel hier, ce qui a braqué les projeteurs sur Montréal. «L'arrivée d'un géant mondial comme Intel vient renforcer l'attractivité du Grand Montréal et du Québec auprès des sociétés en technologies de l'information», a estimé Dominique Anglade, PDG de Montréal International.

4. De nouveaux emplois

Plusieurs postes sont actuellement disponibles chez PasswordBox, et d'autres devraient être créés au cours des prochains mois. «Nous sommes très sélectifs, nous voulons les meilleurs, explique Daniel Robichaud. Nous pouvons rencontrer 30 candidats pour recruter un seul employé.»

PasswordBox en bref

> Fondée en 2012 par Daniel Robichaud

> 44 employés

> A gagné le prix de la meilleure appli mobile au Consumer Electronics Show de Las Vegas en janvier 2014

Intel en bref

> Fondée en 1968 en Californie

> 106 000 employés

> Revenus de 52,7 milliards US en 2013