L'histoire du Québec depuis la Deuxième Guerre mondiale est jalonnée de repères sociopolitiques connus et enseignés dès l'école primaire: Grande Noirceur duplessiste, Révolution tranquille, Expo 67, développement hydroélectrique de la Baie-James, triple Non référendaire et commission Charbonneau, pour n'en nommer que quelques-uns.

L'histoire économique est quant à elle moins connue. Certes, on peut nommer quelques succès d'entreprises, comme Bombardier ou le Cirque du Soleil, quelques faillites retentissantes aussi, comme Dupuis & Frères, Eaton ou Nortel, mais les grands cycles échappent à la connaissance ou au souvenir de la plupart d'entre nous, hormis la récession récente de 2008-2009, qui a pourtant frappé moins fort le Québec que le reste de l'Occident.

Un grand pas en avant pour combler cette lacune vient d'être franchi.

L'Université de Sherbrooke, en collaboration avec les Études économiques de Desjardins, a recréé les variations trimestrielles du produit intérieur brut (PIB) réelles pour la période de 1945 à 1980, pour lesquelles il n'existe pas de statistiques officielles.

Cet exercice méticuleux, dont on épargnera au lecteur la complexe méthodologie, permet de situer quand au juste le Québec a été en récession, d'expliquer en bonne partie par quoi ces décroissances ont été causées et pourquoi les décideurs ont privilégié certaines mesures.

Depuis la guerre, les chercheurs ont défini 10 récessions, qu'ils ont classées en deux catégories: les classiques, c'est-à-dire celles qui ont vraiment fait mal, et les techniques. Dans ce dernier cas, on n'a pas retenu la définition qui fait consensus, soit la contraction de la production de biens et de services (le PIB) durant deux trimestres d'affilée.

Ils privilégient plutôt une définition qualitative et davantage sujette à interprétation. Une récession est jugée technique lorsqu'elle «exerce un faible impact sur les autres indicateurs économiques tels que l'emploi, les demandes d'assurance-emploi, le commerce ou encore la construction».

Ce faisant, la récession de 2008-2009 est qualifiée de technique, malgré ses trois trimestres de contraction consécutifs, alors que celles de 1949, 1953-1954 et 1957-1958 sont jugées classiques, avec deux trimestres de recul.

Cette réserve mise à part, l'étude permet de différencier les cycles d'avant 1980 des suivants par l'importance moins grande du secteur tertiaire qui subirait une baisse plus grande de revenus durant les récessions.

L'analyse des variations trimestrielles du PIB permet aussi d'affirmer que toutes les récessions classiques ont été précédées par une baisse des mises en chantier résidentielles, sauf celle de 1957-1958.

Elle établit aussi la relation étroite entre les cycles américains et québécois, bien qu'ils ne soient pas toujours les mêmes, ni de même amplitude. Rappelons-nous que la récession de 2008-2009 est jugée technique ici, alors qu'elle a été la plus grave depuis la Grande Dépression des années 30 aux États-Unis, d'où son surnom de Grande Récession.

On comprend mieux la gravité de la récession de 1957-1958 quand on constate que la croissance annualisée avait dépassé les 7% durant plusieurs trimestres auparavant. La chute de production était plus brutale qu'après un rythme d'expansion de 3% à 4% observé au début du millénaire.

On s'explique mieux aussi pourquoi Ottawa avait décidé de fixer le taux de change de notre monnaie à 92,5 cents US pour relancer les exportations.

Bref, les historiens et les romanciers disposent désormais d'un nouvel outil précis qui permettra sans doute la «réappréciation» de décisions politiques ou d'affaires, prises dans le feu de l'action avec des données sensibles comme le chômage ou le commerce extérieur, de la situation qui prévalait, mais des données somme toute sommaires.