Il est peut-être moins loin qu'on pense, le jour où l'on pourra se présenter à un bureau de change pour troquer quelques centaines de dollars contre des billets à l'effigie de Mao avant de prendre l'avion à destination de Pékin ou de Shanghai.

La devise chinoise n'est pas libéralisée et est difficilement convertible à l'extérieur de l'empire du Milieu. Cela change quelque peu, et il faudra se familiariser avec cette monnaie qu'on appelle tantôt renminbi (monnaie du peuple), tantôt yuan. Dans les textes, on l'abrège souvent en RMB ou par le symbole formé d'un Y barré (à la différence du Y à double barre qui représente le yen japonais).

Un grand pas vers la libéralisation du renminbi avec notre monnaie a été franchi samedi. La Chine et le Canada ont conclu une entente pour créer un centre de négociation et d'investissements en renminbis. Basé à Toronto, il sera le premier sur le continent américain et le huitième dans le monde après ceux de Hong Kong, Londres, Singapour, Paris, Francfort, Séoul et Doha.

Désormais, une société canadienne faisant affaire avec une entreprise chinoise pourra se procurer des renminbis sur le marché libre sans faire de conversion préalable dans une autre devise.

Parallèlement à l'annonce faite par le premier ministre Stephen Harper et le président Xi Jinping, la Banque du Canada et la Banque populaire de Chine ont signé à cette fin un accord bilatéral de trois ans de swap réciproque d'un maximum de 30 milliards de dollars ou de 200 milliards de renminbis, ce qui équivaut à 6,667 renminbis pour un huard. Par rapport au dollar américain, le taux de change était de 6,1251 yuans, hier à Shanghai.

La Chine est maintenant la deuxième économie du monde, son premier exportateur et le deuxième partenaire commercial du Canada, après les États-Unis. Elle libéralise sa monnaie pour augmenter ses échanges commerciaux et faciliter ses investissements directs à l'étranger, en Afrique notamment, où elle supplante la Banque mondiale, mais aussi ailleurs comme au Canada, où elle est déjà active dans les sables bitumineux.

Selon les évaluations de la Banque HSBC, engagée dans le processus de libéralisation progressive de la monnaie chinoise depuis ses débuts, seulement 5% des échanges commerciaux entre le Canada et la Chine se réalisent en renminbis. L'an dernier, la valeur du commerce de marchandises entre les deux pays a atteint 73,3 milliards, dont 20,5 milliards étaient des exportations canadiennes vers la Chine, d'après les chiffres fournis par le cabinet de M. Harper.

Présentement, 20% des échanges commerciaux de la Chine avec le reste du monde se concrétisent en renminbis, ce qui en fait déjà la troisième monnaie d'importance du commerce international, après le billet vert et l'euro. Des observateurs s'attendent à ce que la proportion grimpe à près de 35% d'ici la fin de la décennie en raison de l'intensification du commerce entre pays de l'Asie du Sud-Est.

Concrétiser des transactions en passant par une autre monnaie, le dollar américain pour ne pas le nommer, représente des coûts accrus, tant pour les exportateurs que pour les importateurs canadiens et chinois.

Voilà pourquoi HSBC estime que l'accord de samedi est susceptible de faire croître les exportations canadiennes vers la Chine de 11% par an et celles de la Chine vers le Canada de 8% par an pendant les trois prochaines années.

Il y a de nombreux avantages à commercer directement en yuans.

Pour l'importateur canadien, payer en yuans permet de négocier des rabais, dont celui lié à l'exemption de la taxe de vente chinoise sur les exportations libellées dans la monnaie locale. Cela permet aussi de demander des soumissions dans deux monnaies.

Pour l'exportateur canadien, cela peut élargir la clientèle, compte tenu des difficultés des entreprises chinoises à se procurer des devises étrangères.

L'accord de samedi fait ressortir, pour ceux qui en doutent encore, que la Chine est désormais un acteur incontournable du commerce international et qu'elle sera aussi le premier investisseur direct étranger du monde d'ici peu, compte tenu des réserves extraordinaires de devises dont elle dispose.

Les États-Unis cherchent à freiner l'avancée chinoise en poussant la concrétisation d'ici la fin de l'année du Partenariat transpacifique, sorte de traité de libre-échange entre 12 pays, dont le Canada, qui exclut la Chine.

Hier la Chine, qui est l'hôte cette année du sommet de la Coopération économique Asie-Pacifique (APEC), a annoncé en grande pompe le lancement d'une étude devant déboucher sur la création de la Région de libre-échange de l'Asie-Pacifique pour y faire contrepoids.

Le Canada a tout intérêt à y jouer un rôle actif, même si son premier ministre n'était pas à Pékin, mais à Ottawa, au moment de l'annonce.