La vente des activités canadiennes d'ingénierie de Dessau à Stantec n'est probablement qu'une étape de plus vers le démantèlement complet de ce groupe qui a déjà compté près de 5000 employés, mais qui a été frappé de plein fouet par les scandales de collusion et de corruption des dernières années.

C'est ce qu'a reconnu hier la PDG de Dessau Ingénierie, Isabelle Jodoin, au cours d'un entretien téléphonique avec La Presse Affaires.

La firme albertaine Stantec a confirmé hier l'acquisition des activités canadiennes d'ingénierie de Dessau pour une somme non divulguée, mais que l'analyste Maxim Sytchev, de Dundee Capital Markets, évalue à environ 100 millions de dollars. Cette division, qui compte une quarantaine de bureaux au Québec et à Ottawa, compte 1300 employés.

Pour l'instant, Dessau conserve ses filiales d'ingénierie en Colombie, au Chili, au Pérou et en Algérie, qui emploient quelque 1000 personnes, l'entreprise de construction Verreault, qui compte 150 travailleurs, ainsi que les firmes de gestion d'infrastructures Simo et Sogep, qui regroupent 350 salariés. Mais au cours des prochains mois, la direction examinera divers scénarios, y compris la cession d'une partie ou de la totalité de ces activités. «Les différentes avenues sont en analyse actuellement», a déclaré Mme Jodoin.

Rappelons qu'en juin, Dessau avait cédé sa filiale LVM, qui emploie 1400 personnes, à un groupe composé du fonds ONCAP, propriété du conglomérat torontois Onex, et de la Caisse de dépôt et placement du Québec.

Risques liés aux activités internationales

Au cours d'une téléconférence avec les analystes, hier, le PDG de Stantec, Bob Gomes, a indiqué que l'entreprise n'avait pas souhaité mettre la main sur les activités internationales de Dessau, en raison notamment de leur niveau de risque «plus élevé». En plus du savoir-faire de Dessau dans les secteurs des transports et du bâtiment, Stantec est particulièrement intéressée par la présence de l'entreprise québécoise dans les domaines des télécommunications (contrats avec Bell, Rogers et Vidéotron) et de la sécurité (gouvernement fédéral).

«Stantec est très consciente du passé de Dessau, mais c'est le talent en ingénierie du groupe que nous achetons, a expliqué un vice-président de l'entreprise d'Edmonton, Maurice Léger. C'était une occasion de mettre les pieds au Québec alors que nous sommes partout ailleurs au Canada.» C'est au cours de l'été que les dirigeants de Dessau ont décidé de procéder à la vente des activités canadiennes d'ingénierie, a précisé Isabelle Jodoin. «C'est vrai qu'en vendant LVM, on stabilisait les finances de l'entreprise et qu'on réglait les enjeux urgents pour continuer nos opérations, mais en poursuivant notre réflexion, on a vite réalisé qu'une transaction avec une firme comme Stantec nous donnait un avenir plus intéressant. Ça nous permet de continuer à grandir, d'offrir des défis intéressants à nos employés et de consolider de façon très ferme les emplois actuels.»

Les quelque 350 actionnaires de Dessau, principalement des employés, ne toucheront pas tout de suite les dividendes de la transaction avec Stantec, qui doit être conclue d'ici la mi-janvier. Avant de leur verser quoi que ce soit, l'entreprise veut trancher quant au sort de Verreault et des autres filiales restantes.

Dette envers les Sauriol

Jean-Pierre et Rosaire Sauriol, qui ont dû se départir de leur actionnariat de contrôle de Dessau au moment de quitter l'entreprise, l'an dernier, devront aussi attendre. En mai 2013, Rosaire Sauriol a été accusé de fraude avec une trentaine d'autres personnes, dont l'ex-maire de Laval Gilles Vaillancourt et l'entrepreneur Tony Accurso.

«Les frères Sauriol ne sont plus actionnaires et la valeur de leurs actions est une dette pour l'entreprise, a affirmé Isabelle Jodoin. Cette dette-là, il faudra la régler quand tous les enjeux de l'entreprise auront été réglés, mais de façon équitable par rapport aux actionnaires actuels.»

M. Gomes a soutenu hier que Dessau était ressortie «meilleure et plus forte» de la crise d'éthique qui l'a ébranlée. Par contre, il ne s'attend pas à ce que Stantec soit tenue de rembourser au gouvernement les sommes que Dessau aurait reçues en trop à cause de la collusion ou de la corruption. Selon lui, ce fardeau éventuel reviendra à l'entité de Dessau qui survivra.

Dans les mois qui ont suivi la décision de l'Autorité des marchés financiers d'interdire à Dessau de décrocher des contrats publics, l'an dernier, l'entreprise a dû licencier environ 350 employés. Mais elle a depuis recommencé les embauches. «Nous ne prévoyons pas de nouvelles rationalisations», a dit Bob Gomes.

Le dirigeant a relevé que les marges bénéficiaires de Dessau étaient «légèrement inférieures» à celles de Stantec, qui sont d'environ 11%. M. Sytchev estime que Dessau enregistre des revenus de 130 millions et un bénéfice d'exploitation de 13 millions par année.

«C'est le moment parfait pour entrer au Québec», s'est félicité M. Gomes en évoquant le récent redressement de l'industrie et l'abondance de contrats d'infrastructures en vue, notamment pour les projets de reconstruction de l'échangeur Turcot et du pont Champlain.

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LA TRANSACTION REBONDIT À L'ASSEMBLÉE NATIONALE

La nouvelle de la vente du fleuron québécois a rebondi à l'Assemblée nationale. Le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, a réclamé de nouveau que Québec récupère des entreprises de génie l'argent payé en trop en raison de la collusion.

«Le gouvernement devrait s'asseoir, avec des recours civils, avec les grandes firmes de génie, pour collecter l'argent remboursé. Cet argent pourrait être payé avec des actions de la compagnie, ce qui aiderait à garder le contrôle québécois. Or, ni le gouvernement du PQ ni le gouvernement libéral n'ont eu le courage d'agir de ce côté-là. Résultat : on apprend [hier] matin que Dessau, la deuxième plus grande firme de génie au Québec, est vendue à des intérêts de l'Alberta.»

- François Legault

«On sait que le secteur du génie civil est d'une grande importance stratégique pour le Québec. On sait également les difficultés que ce secteur a traversées au cours des dernières années, difficultés qui sont bien connues et qui ont été amplement débattues dans cette Chambre. On veut faire en sorte que les actifs stratégiques du Québec demeurent au Québec sans cependant intervenir outre mesure dans les marchés.»

- Philippe Couillard

Bientôt une loi pour récupérer l'argent

À propos de la récupération des sommes versées en trop aux firmes coupables de collusion, la ministre responsable de la Justice, Stéphanie Vallée, s'est engagée à déposer «sous peu» une nouvelle mouture du projet de loi 61, que le gouvernement Marois avait déposé pour aller récupérer les sommes injustement payées par les contribuables québécois.

- Denis Lessard