Le gouvernement Harper a marqué la fin des audiences du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) sur l'avenir de la télévision en servant une mise en garde à l'organisme: «Nous ne permettrons pas que soient mises en place de nouvelles réglementations ou taxes sur les services de vidéos par internet», a tranché la ministre du Patrimoine canadien, Shelly Glover, dans une déclaration.

Le CRTC a terminé vendredi deux semaines d'audiences au cours desquelles il a entendu une centaine de témoins. C'était la dernière étape d'un processus où plusieurs milliers de Canadiens - groupes, entreprises et individus - ont fait valoir leur point de vue sur ce à quoi devrait ressembler le cadre réglementaire de la télévision, à une époque de profonds changements pour les consommateurs et l'industrie.

Comme Google au début de la semaine dernière, l'entreprise de télévision en ligne Netflix a plaidé vendredi matin contre l'étendue aux nouveaux acteurs du web des règles imposées aux médias traditionnels.

«Étant donné le contexte technologique actuel, nous sommes d'avis que c'est la prise en compte accrue des forces du marché qui offre le meilleur moyen de la télévision future de la télévision canadienne», a déclaré Corie Wright, directrice des politiques publiques internationales pour l'entreprise.

Mesures à déterminer

Le gouvernement Harper partage cette impression et l'a martelé tout au long des audiences. En plus de cette question de la réglementation d'entreprises comme Netflix ou YouTube (pour favoriser l'essor du contenu canadien sur les nouvelles plateformes, notamment), Ottawa réclame que l'on fasse une plus grande place à la télévision à la carte. Déjà présente au Québec, la formule permet aux consommateurs de choisir les chaînes de télévision qu'ils souhaitent avoir, plutôt que d'être forcés de choisir entre des forfaits présélectionnés.

De nombreux intervenants ont fait valoir au cours des dernières semaines que cette formule entraînerait la mort de chaînes spécialisées qui survivent grâce à l'interfinancement. Mais ces arguments ne semblent pas avoir convaincu le gouvernement Harper.

La ministre du Patrimoine a laissé entendre vendredi qu'elle n'hésitera pas à intervenir si le résultat final n'est pas conforme à ses positions. «Notre gouvernement a été très clair relativement à nos engagements touchant les politiques», a déclaré Mme Glover.

«Nous attendrons le rapport et la décision du CRTC relativement à son étude Parlons télé et nous ne ferons aucune spéculation quant à ses résultats. Nous déterminerons les mesures adéquates que devra prendre le gouvernement lorsque le processus du CRTC sera terminé», a ajouté la ministre fédérale.

Malaise

Ces nombreuses interventions ont créé un malaise chez plusieurs observateurs et au CRTC lui-même. «Je ne peux empêcher le bruit de se faire entendre à l'extérieur, mais... Je peux vous assurer qu'ici, vous aurez une audience équitable», a déclaré le président Jean-Pierre Blais lundi, le jour où le premier ministre Harper a martelé sa position dans un discours électoraliste prononcé devant ses députés et sénateurs à Ottawa.

«Ce qui est pathétique, c'est que, contrairement à la tradition, la ministre n'a pas pensé qu'il était opportun de faire preuve d'une certaine retenue, étant donné que le CRTC est en train d'étudier la question. C'est un tribunal... Mais la ministre ne s'est pas aperçu que ça posait problème de prendre ainsi position», a dénoncé Pierre Trudel, professeur de droit à l'Université de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche L.R. Wilson sur le droit des technologies de l'information et du commerce électronique.

Son collègue de l'Université Laval, Florian Sauvageau, abonde dans le même sens: «C'est la première chose qui m'a frappé et pour moi, c'est le plus important. Si on n'a pas un CRTC totalement indépendant [...], c'est grave à mon humble avis.»

Les deux spécialistes se questionnent d'ailleurs sur la manière dont le gouvernement pourrait intervenir pour imposer ses vues après coup, d'autant plus qu'il aurait pu émettre une directive en vertu de l'article 7 de la Loi sur la radiodiffusion lorsque le CRTC a entrepris son étude, mais qu'il ne l'a pas fait.

Le professeur Sauvageau, qui a coprésidé le Groupe de travail sur la politique de la radiodiffusion qui a examiné les objectifs du cadre réglementaire canadien dans les années 80, estime que le temps pourrait être venu de mener l'exercice à nouveau.