Trois jours de travail par semaine, à raison de 11 heures par jour, et la retraite à 75 ans. Les réflexions du milliardaire mexicain Carlos Slim, exprimées il y a quelques jours devant un parterre de gens d'affaires au Paraguay, pourraient-elles conduire à une révolution dans le milieu du travail au Québec?

«Ce serait très surprenant, répond Manon Daigneault, associée consultante de Réseau DOF. La réflexion a besoin d'être approfondie par rapport à la rentabilité des organisations, de l'impact sur le service aux clients et à la commercialisation des produits. Et sur le plan humain aussi! À trois jours semaine, ça prend de la motivation pour revenir au travail! Ça équivaudrait à revenir de vacances chaque semaine.»

«Ce n'est pas réaliste ni applicable au Québec, ajoute Florent Francoeur, PDG de l'Ordre des conseillers en ressources humaines agréés. La réalité du marché du travail mexicain est différente de celle du Québec. Au Mexique, il y a une marge pour réintégrer les travailleurs. Là-bas, seulement 45% des femmes ont un emploi rémunéré, contrairement à 65% dans la plupart des pays occidentalisés, par exemple. Par ailleurs, les Mexicains travaillent en moyenne 43 heures semaine contre 35 ici. Faire passer la semaine de travail à 33 heures ne serait pas un changement significatif pour nous.»

Financièrement aussi, les entreprises pourraient difficilement se le permettre. Car condenser le travail en trois jours sous-entend de combler des quarts de travail soudainement libres, donc augmenter la charge salariale. «Et le poids des avantages sociaux pour l'employeur, souligne Florent Francoeur. Ça complexifie en plus les horaires de travail.»

«Dans le réseau de la santé, planifier les horaires de travail est un job à temps plein, poursuit Manon Daigneault. Il ne faut pas fermer la porte au concept du trois jours par semaine, mais le standardiser est utopique.»

En termes de flexibilité et de réaménagement des horaires, la semaine de quatre jours a beaucoup plus de sens aux yeux des gestionnaires. «Tant sur une base annuelle qu'estivale, dit Manon Daigneault. De plus en plus, sur les boîtes vocales des employés des Gaz Métro et Hydro-Québec, on entend des: Je suis au bureau du lundi au jeudi.»

Les besoins organisationnels

Cela dit, les besoins individuels ne peuvent prendre le dessus sur les besoins organisationnels. L'entreprise doit se structurer pour livrer le meilleur produit, car elle doit demeurer saine et assurer sa pérennité. Si une organisation n'est pas en santé, elle n'aura plus de postes à offrir.»

En une décennie, la part des emplois à temps partiel a néanmoins progressé de 15,4%. «En 2012, trois travailleurs sur quatre disaient que le temps partiel était volontaire, selon l'OCDE et Emploi Québec», note Florent Francoeur.

Mais encore, dans de tels cas, le travail est modulable, flexible. Le concept de la semaine de trois jours semble non applicable à tous les milieux de travail. «Carlos Slim propose des solutions qui ont l'air magique et qui ne peuvent être universelles, mentionne Jean Lacharité, vice-président de la CSN. Chaque secteur de travail est différent. Comment appliquer un tel concept dans le secteur hospitalier, par exemple?»

«Ces propositions sont un peu faciles venant d'un milliardaire, ajoute Simon De Baene, président de GSoft. GSoft ne serait pas où elle est aujourd'hui si on avait fait du trois jours semaine dès sa création. Mais nous sommes rendus à une façon d'opérer qui s'en approche.»

Le cas GSoft

En effet, plus que favorable à la flexibilité des horaires, la direction de GSoft a plutôt instauré, il y a 18 mois, un concept d'absence de politique liée aux vacances. Les 100 employés de l'entreprise technologique qui fabrique des logiciels sur mesure sont maîtres de la durée et du temps de leurs congés.

«On n'a jamais vraiment réfléchi aux trois jours semaine, mais aux quatre jours, car on trouvait que les vendredis n'étaient pas les journées les plus productives, admet Simon De Baene, président de GSoft. On s'est finalement inspirés d'entreprises à Silicon Valley, tel Netflix, et de leur No Vacation Policy. L'idée, c'est que si tu n'es pas regardant en tant qu'employé sur les heures investies dans l'organisation, pourquoi l'organisation devrait-elle être regardante sur les heures de travail de ses employés? On responsabilise ainsi les employés. Ici, on a des objectifs assez clairs. Ça vous regarde, la façon avec laquelle vous y arrivez!»

La mesure n'aurait affecté ni la productivité ni la croissance du chiffre d'affaires de l'entreprise. «Je n'aime pas l'officialité de la chose dans le concept du trois jours semaine, dit Simon De Baene. Ce n'est pas tout le monde qui est capable de produire en trois jours. Ce n'est pas tout le monde qui a la maturité et l'éthique pour le faire. Je pense aussi aux attentes des clients. Notre alignement par rapport à eux se ferait difficilement. D'abord au niveau du soutien. On offre déjà du soutien cinq jours sur sept, et non sept jours sur sept comme d'autres entreprises. Le marché n'en est pas là.»

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LA SEMAINE DE TROIS JOURS: DES RÉACTIONS MITIGÉES

Que pensez-vous de l'idée du milliardaire Carlos Slim de travailler trois jours par semaine?

«Dans les milieux de travail en général, le modèle de «9 à 5» a évolué. C'est encore la norme, mais on voit plus de flexibilité dans l'organisation du travail avec le télétravail ou la semaine comprimée sur quatre jours. Mais il n'y a pas juste un modèle qui est bon pour toutes les entreprises. De plus, l'organisation du travail n'est pas faite juste en fonction des besoins de l'entreprise, elle est faite en fonction de la société. Qu'est-ce qu'on fera avec les services de garde ou les horaires d'école si les parents travaillent 11 heures par jour?»

- Gary Johns, professeur de management à l'École de gestion John-Molson de l'Université Concordia et spécialiste de l'absentéisme

«La semaine de trois jours favoriserait la conciliation travail-famille et aurait un impact positif sur la qualité de vie. Mais il est hors de question que la semaine de 3 jours soit imposée en contrepartie d'un report unilatéral de l'âge de la retraite à 70 ou 75 ans.»

- Pierre-Guy Sylvestre, économiste au Syndicat canadien de la fonction publique