Il ne se passe guère de semaine sans que le rapide enrichissement des 1% les plus nantis fasse l'objet de dénonciations par les courants de gauche ou, à tout le moins, de mises en garde par des hérauts des milieux plus conservateurs comme la présidente du Fonds monétaire international, Christine Lagarde, et le secrétaire général de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), José Angel Gurría, qui préconisent une croissance inclusive, ou comme le gouverneur de la Banque d'Angleterre, Mark Carney, qui en appelle à la responsabilité morale des plus riches.

La publication au début de la décennie de l'essai L'égalité, c'est mieux avait lancé ce débat dont l'enjeu avait été cristallisé par la crise financière de 2008-2009. Ma collègue Stéphanie Grammond en avait d'ailleurs fait le sujet d'une chronique fort intéressante intitulée «La complainte du progrès».

C'est dans cette foulée qu'un collectif de chercheurs sous la direction d'Alain Noël et de Miriam Fahmy a publié dernièrement Miser sur l'égalité. L'argent, le pouvoir, le bien-être et la liberté.

Premier constat à la lecture de cette quinzaine de contributions: la notion d'égalité est au moins aussi complexe que celle de liberté.

Le lecteur peu à l'aise avec cet éternel débat socioéconomique pourra ainsi apprivoiser les outils statistiques tels le coefficient de Gini ou le ratio 20-20, qui permettent de mesurer et de comparer le degré d'égalité d'une société, comprise comme étant la répartition de la richesse selon la distribution des revenus.

Il pourra aussi voir où se situe le Québec, c'est-à-dire encore loin des pays scandinaves, mais bien mieux que les autres pays du monde anglo-saxon auquel il appartient. Bref, le Québec n'a pas échappé à la déferlante néolibérale initiée par le couple Thatcher-Reagan, mais il a mieux résisté.

Le lecteur pourra aussi se familiariser avec la notion d'investissement social, qui diffère selon les pays et les courants idéologiques. Depuis quelque temps, elle est plutôt axée sur l'insertion dans le marché du travail. Ainsi, le programme de garderies subventionnées favorise-t-il l'accès des femmes au travail rémunéré. En contrepartie, cette démarche est moins efficace pour relever le défi du vieillissement de la population, et plus particulièrement l'allocation des ressources pour les lentes fins de vie.

On examine la variation des taux d'imposition des revenus au fil du temps. S'il est vrai que la majorité des pays membres de l'OCDE ont majoré légèrement l'impôt des ultra-riches depuis la crise de 2008-2009, y compris les États-Unis, la ponction fiscale paraît encore bien faible comparativement, par exemple, à celle sous la présidence d'Eisenhower (1953-1960).

On fait aussi ressortir qu'une société plus égalitaire n'est pas juste celle qui secourt davantage ses pauvres. C'est plutôt celle qui instruit sa population pour favoriser l'autonomie individuelle et la mobilité sociale. C'est une société qui stimule l'empathie, la solidarité et la vie démocratique.

Liberté et égalité

Voilà qui nous mène au deuxième constat de cet essai aux multiples facettes: on a tort d'opposer ces deux grands idéaux que sont liberté et égalité, comme la guerre froide nous y a habitués. En fait, ils se nourrissent mutuellement.

Les inégalités favorisent la concurrence, l'envie et la surconsommation, stimulée par les réflexes de mimétisme. «Le besoin de croissance économique sera donc inutilement gonflé par l'inégalité», avance même Éloi Laurent.

Le déploiement des inégalités favoriserait aussi un désintérêt pour l'environnement par le plus grand nombre.

Christian Nadeau met en relief la grande confusion entretenue entre les concepts de liberté et de pouvoir. En gros, argue-t-il, la liberté des uns ne doit pas consister à l'exercice d'un pouvoir sur les autres.

Jane Jensen livre pour sa part en guise de conclusion à l'ouvrage un plaidoyer vibrant en faveur du droit à payer des impôts afin d'éveiller un sentiment de citoyenneté sociale.

«Un régime fiscal plus juste est un régime qui fournit des services de qualité en échange de l'impôt payé, écrit-elle. L'arrangement le moins solidaire et le moins susceptible de favoriser la citoyenneté sociale est celui au sein duquel les citoyens paient de l'impôt, mais doivent tout de même se procurer les services dont ils ont besoin dans le secteur privé.»

Miser sur l'égalité. L'argent, le pouvoir, le bien-être et la liberté. Collectif sous la direction d'Alain Noël et de Miriam Fahmy, Fides, 271 pages.