Plusieurs firmes l'ayant abandonnée au cours de la dernière année, l'Association des ingénieurs-conseils du Québec (AICQ) a dû se restructurer. Elle étudie même la possibilité de fusionner avec un autre organisme.

L'AICQ fête en 2014 ses 40 années d'existence en pleine tourmente. En marge de l'assemblée annuelle tenue plus tôt cette semaine, la PDG de l'AICQ, Johanne Desrochers, a dit espérer que l'association célèbre ses 50 ans en 2024. Mais du même souffle, elle a ouvert la porte à la fin de l'AICQ telle qu'on la connaît aujourd'hui.

«L'AICQ sera-t-elle regroupée au sein d'une autre association? L'avenir nous le dira, mais chose certaine, elle sera bien vivante, car le génie-conseil se sera révélé dans toute sa splendeur à nouveau», a-t-elle déclaré devant quelques dizaines de représentants de firmes de génie-conseil.

En entrevue avec La Presse Affaires, Mme Desrochers a évoqué deux possibilités: un regroupement avec l'Association des firmes d'ingénieurs-conseils du Canada, dont l'AICQ est déjà membre, ou avec d'autres associations professionnelles québécoises, par exemple celles des arpenteurs-géomètres et des urbanistes. Elle cite en exemple le groupe Consult Australia, qui représente autant les ingénieurs que les architectes et les gestionnaires de projet de ce pays.

Les autres professions oseront-elles s'associer aux ingénieurs, dont la réputation a été ternie par de nombreuses affaires de collusion, de corruption et de dons politiques illégaux? «Elles ne devraient pas considérer seulement cet aspect. Tout le monde doit regarder vers l'avenir», a répondu Johanne Desrochers.

Une chose est sûre, l'AICQ connaît des jours difficiles. Au cours des derniers mois, quatre firmes importantes ont quitté ses rangs: Cegertec WorleyParsons, Groupe SM, Aecom et Pageau Morel.

Rappelons que l'automne dernier, d'anciens dirigeants d'Aecom ont laissé entendre devant la commission Charbonneau que l'AICQ a pu servir de paravent pour des activités de collusion. L'association dément avec force cette version des faits.

Dans le cadre de son enquête dans ce dossier, le Bureau de la concurrence a interrogé un ancien patron d'Aecom, Luc Benoît. Selon Mme Desrochers, c'est possiblement l'organisme fédéral qui a demandé à Aecom de se retirer de l'AICQ, du moins temporairement. «Ça se peut que le Bureau de la concurrence leur ait au moins suggéré de ne pas se retrouver en présence d'autres firmes», a-t-elle affirmé.

Le départ des quatre firmes a fait mal à l'AICQ. L'association reçoit son financement en fonction du nombre d'employés de ses entreprises membres. En tenant compte à la fois des employés des firmes qui ont quitté l'AICQ et des postes qui ont été supprimés dans les autres firmes en raison de la crise, le nombre de salariés a chuté de 23 000 à 14 000 au cours des derniers mois.

Par conséquent, le budget annuel de l'AICQ a fondu, passant de plus de 1 million à environ 650 000$. Le mois prochain, le nombre d'employés permanents de l'association aura diminué de moitié par rapport au début de l'année, passant de six à trois.

Johanne Desrochers, 59 ans, a d'ailleurs annoncé son départ il y a deux semaines. Elle ne sera pas remplacée pour l'instant. «Il n'y a pas de presse, on veut faire les choses comme il faut», a expliqué le président du conseil d'administration de l'AICQ, Claude Décary, qui est aussi PDG de la firme Bouthillette Parizeau.

Désordre à l'Ordre

Le portrait n'est pas plus rose à l'Ordre des ingénieurs, où six nouveaux administrateurs entreront en poste aujourd'hui, après l'assemblée annuelle. L'un d'eux est Jean-François Proulx, qui dénonce depuis des mois les pratiques de l'ordre professionnel dans la foulée de la crise qui ébranle la profession.

Cet après-midi, au Palais des congrès, les ingénieurs devront une nouvelle fois se prononcer sur une hausse de la cotisation annuelle à l'Ordre, de 95$ cette fois-ci, afin de financer les innombrables enquêtes de déontologie découlant de situations dénoncées par les médias et devant la commission Charbonneau. Selon toute vraisemblance, les ingénieurs rejetteront l'augmentation, comme ils l'avaient fait il y a un an lorsqu'une hausse de 100$ leur avait été demandée.

L'an dernier, le conseil de l'Ordre avait passé outre à la volonté de ses membres en décrétant lui-même une hausse de 90$ de la cotisation annuelle, pour un total de 400$. Tout indique que le conseil refera la même chose cette année.

Au cours d'un entretien téléphonique, hier, Jean-François Proulx a estimé avoir l'appui de six autres membres du conseil pour s'opposer à une hausse de la cotisation. Or, le conseil compte 24 membres en tout. «Au conseil, je vais dire: «On doit commencer à réduire nos dépenses, parce qu'il y a beaucoup de gras à l'Ordre» », a confié M. Proulx.

Il n'y a pas de grandes économies à trouver dans le budget de 28 millions de l'Ordre, a répliqué la vice-présidente de l'organisme, Isabelle Tremblay, précisant que toutes les activités non liées à la protection du public ont déjà été rationalisées.

«On comprend que les membres veuillent savoir comment l'argent est utilisé et comment on va se sortir d'une crise de confiance envers la profession, a insisté Mme Tremblay. Ça touche tout le monde, même si seulement quelques personnes ont mal agi. Mais je peux donner l'assurance aux membres que ce qu'on leur demande, c'est vraiment nécessaire.»

M. Proulx entend poser sa candidature à la présidence de l'Ordre, même si ses chances d'être élu à ce poste sont minces. Le conseil d'administration tranchera à ce sujet demain.

La bisbille à l'Ordre des ingénieurs a attiré l'attention de la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, qui a forcé ses dirigeants à s'expliquer devant l'Office des professions à la fin de mai.

«On va attendre que le nouveau président de l'Ordre soit élu pour discuter de la suite des choses avec l'Office et avec l'Ordre», a commenté hier Jolyane Pronovost, porte-parole de la ministre Vallée.

Rôle: assurer la protection du public et défendre la profession

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L'ORDRE DES INGÉNIEURS EN BREF

Fondation: 1920

Nombre de membres: 59 300

Nombre d'enquêtes en cours: plus de 850