Le projet Lovaganza a beau se présenter comme une initiative visant «l'unité, la paix et l'abondance pour tous», qui cherche à «procurer une qualité de vie universelle pour tous les enfants du monde», la police du secteur financier n'est pas prête à lui donner le bon Dieu sans confession.

Au contraire, les investisseurs sont invités à se méfier des sollicitations liées au financement de ce projet, lancé par les producteurs et réalisateurs québécois Jean-François et Geneviève Gagnon, visant la production de trois films à grand déploiement dont les profits doivent servir à financer des projets humanitaires, notamment une chaîne humaine traversant tous les continents, prévue pour septembre 2015.

En plus de faire une mise en garde aux investisseurs, l'Autorité des marchés financiers (AMF) a obtenu la permission du tribunal pour bloquer les comptes bancaires de trois organisations et de huit personnes liées à Lovaganza. Les personnes ciblées doivent aussi cesser leur sollicitation financière.

«En faisant enquête, on a découvert que les investisseurs se faisaient remettre un document, une sorte de titre d'emprunt, qui promettait un rendement pouvant atteindre cinq fois la somme investie, explique le porte-parole de l'AMF, Sylvain Théberge. On a aussi constaté que de l'argent était envoyé à l'étranger. On a demandé le blocage des fonds, parce que l'argent des investisseurs est potentiellement à risque.»

La sollicitation se fait par l'intermédiaire de la Corporation One-Land, par Lovaganza 2015 et par Fer Rouge Creative Company. Les personnes visées par l'ordonnance de blocage sont Mark-Érik Fortin, Jean-François Gagnon, Geneviève Cloutier-Gagnon, Mathieu Carignan, Karine Lamarre, Louise Larente, Karine Despatie et Roland Chaput.

Sylvain Théberge n'a pas été en mesure de préciser les montants en jeu ni le nombre d'investisseurs qui ont contribué financièrement à l'aventure. L'AMF indique cependant que les montants investis sont de plus en plus importants, que les rendements promis sont extrêmement élevés et que la sollicitation se poursuit.

Dans une infolettre datant de 2012, le PDG de One-Land et producteur de Lovaganza, Mark-Érik Fortin, indiquait qu'un budget de 400 000$ était nécessaire pour la dernière phase de développement du projet. «Ce budget nous mènera à la signature avec un studio majeur hollywoodien au plus tard à l'automne 2012, écrit-il. Suivront ensuite la préproduction, le tournage, la postproduction et finalement l'arrivée aux grands écrans, ce qui fera augmenter la valeur de votre investissement.»

M. Fortin cite en guise d'exemple les profits générés par les films Avengers et Twilight pour faire valoir la rentabilité du projet Lovaganza. Il invite les sympathisants à se mobiliser pour attirer des investisseurs pour réaliser «la plus grande production cinématographique de tous les temps et un événement qui saura marquer l'humanité pour des décennies», écrit-il.

La Loi sur les valeurs mobilières encadre de façon très stricte toute forme d'investissement. Il faut notamment être inscrit auprès de l'AMF et émettre un prospectus pour informer adéquatement les investisseurs potentiels.

Un projet planétaire

Lovaganza prévoit la production d'une trilogie cinématographique racontant l'histoire d'un immense convoi, mené par un prêtre motard défroqué, «qui parcourt le "Godsland" et révèle un monde parallèle où le sort de l'humanité repose sur la réalisation d'une prophétie vieille de 5000 ans».

Les producteurs misent sur le succès de ces films, qui doivent sortir au printemps 2015, pour financer un certain nombre d'événements qui doivent avoir lieu partout dans le monde en septembre 2015, notamment une chaîne humaine reliant «le plus grand nombre de personnes jamais réunies, d'un continent à l'autre, en se tenant par la main simultanément dans une démonstration unique de paix et d'unité». Des expositions, conférences et spectacles doivent avoir lieu simultanément dans 50 villes sur la planète, notamment à Montréal.

L'objectif ultime, selon l'information diffusée par les fondateurs, est de financer la Fondation Lovaganza, qui pourra ensuite «supporter de nombreuses fondations et organisations déjà en place à travers le monde, qui s'engageront à unir leurs efforts pour procurer une qualité de vie universelle pour tous les enfants du monde d'ici 2035».

La société Lovaganza a été incorporée à Monaco en 2012 et au Delaware en 2013. Elle n'est pas inscrite au registre des entreprises du Québec, ni au répertoire des organismes de charité canadiens. Les fondateurs, Jean-François et Geneviève Gagnon, résideraient en Californie. Aucun responsable de l'organisation n'a donné suite aux nombreuses demandes d'information de La Presse.

Un sympathisant et investisseur, Marc Bourbonnais, qui a fait une contribution de 500$ au projet il y a 3 ans, a expliqué n'être nullement motivé par un quelconque rendement. «Ce qui m'intéresse, c'est de participer à un projet qui redonne le pouvoir au peuple, dit ce consultant en image corporative. On m'a dit qu'il pourrait y avoir des retombées à la sortie du film, mais je ne m'attends pas à ce que ça rapporte.»

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PAILLETTES ET JET-SET

Les fondateurs de Lovaganza, Jean-François et Geneviève Gagnon, semblent avoir jeté leur dévolu sur les tapis rouges et les événements mondains pour arriver à leurs objectifs, soit mettre fin à la guerre et éradiquer la pauvreté sur la planète. Le site web de leur organisation ressemble à un bottin mondain où des clichés les montrent en compagnie de personnalités du monde artistique ou des affaires, comme les acteurs Sandra Bullock, Johnny Depp, Juliette Binoche, Colin Farrell, Kirsten Dunst ou Sharon Stone. Ils semblent aussi être à l'aise avec les têtes couronnées, comme le prince Albert et la princesse Charlène de Monaco, ainsi que la princesse Beatrice d'York. Ils font aussi état de rencontres avec le dalaï-lama, Bill Clinton, René Angélil, Richard Branson et Bernie Ecclestone. On souligne qu'ils se sont installés à Los Angeles dans le même quartier que des célébrités comme Tom Hanks et Steven Spielberg.