Le laboratoire pharmaceutique américain Pfizer, qui envisage de relever encore son offre faramineuse pour racheter son concurrent britannique AstraZeneca, se trouve confronté à une pression politique montante des deux côtés de l'Atlantique sur fond d'inquiétude pour les emplois.

Le PDG Ian Read s'apprête à s'envoler pour la Grande-Bretagne où il sera entendu mardi par des parlementaires britanniques inquiets des répercussions sociales de cet éventuel mariage à plus de 100 milliards de dollars.

Il va laisser derrière lui une classe politique américaine tout aussi inquiète des suppressions d'emplois potentielles, au vu du prix colossal que va devoir mettre sur la table Pfizer pour convaincre sa cible, qui a déjà repoussé par trois fois ses avances. La presse américaine évoque 113 milliards de dollars, ce qui en ferait la plus grosse opération de l'histoire de la pharmacie.

Les gouverneurs du Maryland Martin O'Malley et du Delaware Jack Markell ont envoyé une lettre à M. Read, dans laquelle ils expriment leurs «profondes inquiétudes» sur ce rapprochement qui menace, selon eux, des emplois dans leurs États respectifs.

Pfizer emploie 3100 personnes dans le Maryland et environ 2600 dans le Delaware. MM. O'Malley et Markell, qui veulent saisir la Maison-Blanche, demandent à Pfizer d'indiquer le nombre d'emplois qui seront supprimés.

«Nous avons discuté avec les gouverneurs et sommes sensibles à leurs inquiétudes», a indiqué à l'AFP un porte-parole de Pfizer sans plus de précision.

51 000 emplois disparus en quatre ans

Le laboratoire new-yorkais n'a pas une bonne réputation sociale, ayant supprimé des milliers d'emplois lors du rachat de la biotech Wyeth en 2008-2009.

Avant cette opération industrielle, Pfizer employait 81 800 salariés et Wyeth 47 426, ce qui faisait un total de 129 226 salariés pour le nouveau groupe fusionné, selon des rapports financiers. Or fin 2013, Pfizer ne comptait plus que 77 000 employés. 51 000 emplois ont donc disparu en quatre ans.

Certains de ces emplois disparus sont en partie le fait de cessions des activités de nutrition infantile (5400 emplois) à Nestlé et de systèmes de conditionnement de médicaments Capsugel (2900) au fonds KKR. Pfizer a aussi introduit en Bourse son activité de santé animale Zoetis (9800 salariés).

Au Congrès aussi, l'idylle passe mal, les élus ne digérant pas que Pfizer veuille racheter AstraZeneca pour se domicilier au Royaume-Uni où il économisera entre 1 et 2 milliards de dollars d'économies en impôts par an, selon les calculs des analystes. Pfizer dispose aussi de milliards de dollars amassés à l'étranger qu'il ne veut pas rapatrier aux États-Unis par peur de payer trop d'impôts.

«Environ 50 entreprises américaines, dont 20 ces deux dernières années, se sont rapprochées de sociétés étrangères pour bénéficier d'un taux d'imposition plus bas», fustige dans une tribune parue vendredi dans le Wall Street Journal l'élu démocrate de l'Oregon Ron Wyden, président de la commission des Finances au Sénat.

«Si elles n'enfreignent pas la loi, la plupart de ces entreprises profitent d'une faille du code fiscal», poursuit-il promettant une loi rétroactive. «Légale ou pas, cette faille doit être bouchée», ajoute M. Wyden.

Profil bas

En Angleterre, pays d'origine de sa cible, Pfizer va devoir faire plus que profil bas. Le premier ministre David Cameron a demandé «plus» de contreparties.

L'Américain a pourtant promis qu'il achèverait la construction du nouveau siège et centre de recherche d'AstraZeneca à Cambridge, près de Londres, et qu'au moins 20 % des emplois de recherche et développement du groupe fusionné seraient basés dans le pays.

L'audition mardi de M. Read s'annonce cruciale, d'autant plus qu'AstraZeneca, né de la fusion en 1999 entre le Britannique Zeneca et le Suédois Astra, a pris son bâton de pèlerin pour convaincre la communauté financière qu'il est mieux seul.

«Le nouveau Pfizer ne peut tenir ses promesses qu'en taillant dans les emplois aux États-Unis et en Suède», estime l'analyste Derek Lowe, du site pipeline.corante.com.

«Pfizer ne peut plus reculer. C'est devenu une question d'ego», résume Marks Mitchell Professeur à l'université de San Francisco, spécialisé en fusions-acquisitions.