Qui doit payer l'acheminement des contenus sur internet? Un accord passé aux États-Unis par Netflix, qui a accepté de payer le câblo-opérateur Comcast pour améliorer la diffusion de ses vidéos en ligne, crée un précédent.

Les deux sociétés ont confirmé dimanche que Netflix verserait une somme non divulguée afin d'établir «une connexion plus directe» pour ses utilisateurs abonnés à Comcast.

Netflix utilisait jusque là les services d'un intermédiaire, Cogent, mais le débit s'avérait parfois insuffisant. Des médias ont fait état d'un ralentissement du service de Netflix pour les clients de Comcast et d'autres opérateurs, gênant notamment le visionnage de la deuxième saison de la série originale à succès House of Cards qui vient de sortir.

Certains analystes voient dans l'accord une menace pour la «neutralité d'internet», un principe censé garantir un accès égal pour tous les types de services en ligne. Une bonne partie de la réglementation américaine en la matière vient toutefois d'être jugée inconstitutionnelle.

«Pour la première fois dans le secteur du câble, un fournisseur de contenus va payer pour accéder directement au tuyau», souligne Kannan Venkateshwar, un analyste de la banque Citi, dans une note. «Cela renverse le modèle de distribution traditionnel jusqu'ici, où le (transit du) contenu était payé par (l'opérateur du) tuyau.»

Le poids des câblo-opérateurs dans la balance pourrait être encore renforcé par la consolidation en cours dans le secteur: Comcast, déjà numéro un du marché, vient en effet d'annoncer son intention d'acheter le numéro deux Time Warner Cable.

Verizon prêt à suivre

«Cet accord (entre Netflix et Comcast) va probablement en provoquer d'autres, aux États-Unis et à l'international», prédit Youssef Squali, un analyste de la société financière Cantor Fitzgerald.

Le poids lourd des télécoms Verizon, qui a son propre réseau d'accès à internet en fibre optique et qui est aussi accusé de ralentir le service de Netflix, a indiqué lundi qu'il envisageait de suivre l'exemple de Comcast.

«Nous devons encore examiner les détails, mais nous avons eu nous-mêmes des discussions avec Netflix», a indiqué lors d'une conférence d'analystes son PDG, Adam McAdam, jugeant le marché mûr pour des accords qui «garantissent que les investissements continuent d'être réalisés». La construction d'infrastructures d'internet à haut débit, indispensables pour les services gourmands en données comme le visionnage de vidéo en direct (streaming), coûte très cher aux opérateurs.

John Bergmayer, avocat de l'association de défense des consommateurs Public Knowledge, s'inquiète toutefois de voir les opérateurs de réseaux se transformer en puissants gardiens d'internet.

Les fournisseurs d'accès et les câblo-opérateurs «devraient faire payer leurs clients pour l'accès à internet, pas le reste d'internet pour l'accès à leurs clients», juge-t-il. Or «il apparaît que les plus gros fournisseurs d'accès exigent des paiements de la part des fournisseurs de contenus et de services réclamés par les consommateurs abonnés au haut débit».

M. Bergmayer regrette aussi le secret autour des modalités financières, qui lui fait aussi se demander «s'ils ont quelque chose à cacher».

Netflix «paye sa part»

Scott Cleland, ex-conseiller en télécoms pour la Maison-Blanche aujourd'hui employé par la société de conseil Precursor LLC, voit en revanche positivement le fait que Netflix accepte de «payer sa part».

«La colonne vertébrale d'internet est une infrastructure haute technologie très coûteuse, et Netflix a compris qu'il avait besoin de contribuer à son coût car c'est le plus gros utilisateur aux États-Unis, avec 30 % du trafic» internet, dit M. Cleland à l'AFP.

Everett Ehrlich, consultant pour le groupe de réflexion Progressive Policy Institute, juge lui aussi que l'accord reflète la position unique de Netflix qui, en tant que plus grand service de vidéo en streaming, a besoin d'un système d'acheminement particulièrement solide.

«Ce n'est plus l'internet de papa où des chercheurs échangeaient leurs articles», fait-il valoir. «C'est maintenant le canal d'un bien plus large éventail de services. La bonne nouvelle est que les marchés assurant les interconnexions fonctionnent, et qu'une solution a été trouvée sans intervention gouvernementale.»