Le huard a clôturé hier à son plus bas niveau depuis juillet 2009 face au dollar américain, à 92,56 cents US. Pourquoi une telle débandade? Et surtout, jusqu'où se poursuivra cette chute? Tour d'horizon.

Q Comment explique-t-on ce recul du dollar canadien?

R Le huard a connu un repli marqué mardi (- 1,05 cent US), puis encore hier (- 0,27 cent US), après la diffusion de données sur l'aggravation du déficit commercial canadien. La devise était toutefois déjà bien engagée sur une pente descendante depuis 2013, rappelle Krishen Rangasamy, économiste principal à la Financière Banque Nationale (FNB). «Une partie de ça est due à la faible performance de l'économie canadienne, qui a amené la Banque du Canada à abandonner son penchant pour une hausse de taux. Il y a aussi le prix des produits de base qui a été limité par une faible croissance mondiale. Cela se poursuit au début de 2014.»

L'attitude «conciliante» de la banque centrale contribue justement à cette faiblesse du huard, fait valoir Hendrix Vachon, économiste spécialisé en devises chez Desjardins. «Avec l'arrivée de M. [Stephen] Poloz, il y a eu un changement de discours qui s'est opéré. Auparavant, avec Mark Carney, la Banque du Canada mentionnait toujours qu'il y aurait des hausses de taux. Cette mention a été enlevée à l'automne, et M. Poloz laisse même une porte ouverte à une baisse de taux. Il y a un ton plus "colombe" qu'à l'ère de Mark Carney, et les marchés se concentrent beaucoup là-dessus en ce moment.»

Q Jusqu'où le huard poursuivra-t-il sa chute?

R Les statistiques sur le marché de l'emploi qui seront publiées demain joueront un rôle crucial. Si elles sont mauvaises, le huard pourrait bien passer sous la barre des 92 cents US dès demain, estiment certains experts. Krishen Rangasamy entrevoit une descente aux environs de 90 cents à la fin du premier trimestre. Il s'attend ensuite à une remontée à 95 cents US à la fin de 2014.

Hendrix Vachon prévoit lui aussi une période de faiblesse pendant au moins trois mois, avec une cible oscillant entre 94 et 95 cents US d'ici la fin de l'année. Le huard devrait ensuite grimper à 98 cents US l'an prochain, avance-t-il. «Comparativement à 2013, qui aura été une année de dépréciation, 2014 sera plus une année de stabilisation, tandis que 2015 sera une année d'appréciation.»

Q Le huard pourrait-il retourner dans ses abysses du début des années 2000 lorsqu'il dépassait à peine les 60 cents US?

R Le spécialiste en devises de Desjardins en doute fort, tout comme la plupart des experts. «Il faudrait que les matières premières s'effondrent. Pour ça, il faudrait que la croissance des pays émergents s'effondre aussi, qu'il n'y ait plus de demande de ce côté-là. Les investissements dans les matières premières tomberaient, et on pourrait donc s'attendre à ce que le dollar canadien retourne près des creux qu'on a vus dans le passé. Mais ce n'est pas cela qu'on voit. Ça fait partie des scénarios catastrophes, mais ce n'est pas notre scénario de base.»

Q Quel est l'impact de cette baisse récente du huard sur l'économie canadienne?

R Pour l'heure, il demeure assez limité. Une baisse accrue et prolongée bénéficierait aux exportateurs, mais il est encore trop tôt pour qu'ils tirent de réels avantages concurrentiels. «Cela ne va pas se produire demain: il y a généralement une période d'ajustement», souligne Krishen Rangasamy. En contrepartie, la machinerie et les équipements que les manufacturiers achètent à l'étranger coûtent maintenant un peu plus cher, ce qui pourrait décourager l'investissement... et les gains de productivité. Enfin, les Canadiens qui voyagent et magasinent au sud de la frontière devront se résigner à allonger quelques cents de plus par billet vert.