La Réserve fédérale américaine (Fed) a montré hier que c'est elle qui mène le jeu et qu'elle n'est pas là pour satisfaire les investisseurs et les spéculateurs.

«Nous ne pouvons laisser les attentes des marchés dicter la conduite de la politique monétaire», a martelé son président, Ben S. Bernanke, durant la conférence de presse faisant suite à l'annonce par la Fed qu'elle n'allait pas commencer prochainement à diminuer le rythme de sa troisième ronde de détente monétaire (DQ3).

Les marchés misaient sur une diminution imminente de quelque 10 milliards de ses achats mensuels de titres adossés à des créances hypothécaires (40 milliards) et d'obligations à long terme du Trésor américain (45 milliards), ce qui est l'essence de la DQ3.

En juin, M. Bernanke avait suggéré en conférence de presse que la Fed pourrait commencer à diminuer le rythme de ses achats cet automne (qui commence samedi), si elle jugeait que les conditions du marché du travail s'amélioraient entre temps de façon satisfaisante. Il avait même évoqué que la fin de la DQ3 était envisageable en juin, si l'amélioration de l'économie et du marché du travail le justifiait.

Cette possibilité avait entraîné la poussée immédiate des taux d'intérêt à long terme qui aura aigrement surpris la Fed. Au point où son communiqué indiquait hier que «le resserrement des conditions financières observées ces derniers mois, s'il persiste, pourrait ralentir le rythme d'amélioration de l'économie et du marché du travail».

La décision de décaler le ralentissement de ses achats à «peut-être plus tard cette année» a entraîné de vives réactions sur les marchés financiers, en poussant les indices boursiers à la hausse, mais surtout les taux d'intérêt à long terme à la baisse (d'au moins 20 centièmes). Le billet vert a aussi reculé face à la quasi-totalité des autres monnaies.

Bien que le taux de chômage ait reculé le mois dernier à 7,3% et que la création d'emplois a persisté durant l'été, les conditions du marché du travail inquiètent toujours les autorités monétaires. M. Bernanke a précisé que le recul du taux de participation, signe de décrochage, n'est pas bon signe. Le mois dernier, il se situait à 63,2%.

En comparaison, le taux de chômage canadien se situait à 7,1% en août, mais le taux de participation, qui mesure la proportion de la population âgée de 15 ans et plus (16 ans aux États-Unis) qui détient ou cherche activement un emploi, se situe à 66,6%.

Bref, a résumé M. Bernanke, le taux de chômage n'est pas le fin mot de l'état du marché du travail.

«Le Comité de politique monétaire [de la Fed] a décidé d'attendre plus d'indices montrant que les progrès seront durables avant d'ajuster le rythme de ses achats», précise donc le communiqué.

M. Bernanke a décliné la suggestion d'un journaliste selon laquelle la Fed avait peut-être mal aiguillé les marchés en suggérant que le ralentissement de la DQ3 pourrait commencer cet automne. Il a toujours été clair que tout allait dépendre des données économiques, a-t-il rappelé.

Il a aussi indiqué que le bras de fer entre le Congrès et la Maison-Banche au sujet du relèvement du plafond de la dette crée de l'incertitude et est susceptible d'entraver l'amélioration de l'économie.

Les 17 membres du Comité de politique monétaire et présidents des Réserves fédérales régionales ont également revu leur scénario économique.

Ils misent désormais sur une croissance de 2,0% à 2,3% pour l'année en cours (comparativement à 2,3% et 2,6% en juin), de 2,9% à 3,1% (3,0% à 3,5%) en 2014, de 3,0% à 3,5% (2,9% à 3,6) en 2015. Pour la première fois, ils ont exprimé leurs vues sur 2016: de 2,5% à 3,3%.

Le taux d'inflation, mesuré par les variations des dépenses personnelles de consommation, devrait demeurer sous la cible de 2%, au moins jusqu'à la fin de 2015.

Les prévisions sur le taux de chômage n'ont que marginalement varié, le seuil de 6,5% à partir duquel la Fed envisagerait de modifier son taux directeur pouvant encore être atteint à la fin de 2014.

Toutefois, a précisé M. Bernanke, pas question d'augmenter le taux directeur, si le taux d'inflation persiste trop en deçà de sa cible. Depuis décembre 2008, il évolue dans une fourchette de 0% à 0,25%. M. Bernanke assure que la Fed va demeurer très accommodante encore longtemps.

«C'est probablement le plus décevant des communiqués, compte tenu des attentes très élevées.»

- Michael Dolega, économiste à la TD

«Sachant déjà que l'automne allait être tendu à Washington, la Fed a surtout regimbé devant les hausses de taux hypothécaires. La violence des liquidations estivales l'a prise de court et elle semble avoir conclu que de donner des indications sur le ralentissement de ses achats aura été une erreur.»

- Jimmy Jean, stratège économique chez Desjardins, Études économiques

«Cela soulève sérieusement la possibilité que le ralentissement de la DQ3 n'est plus à l'ordre du jour en 2013 ou va commencer au plus tôt en décembre.»

- Derek Holt, vice-président chez Scotia, Études économiques