Une connexion si lente que vous ne pouvez même pas regarder une vidéo sur votre téléphone portable dans le train de banlieue au retour du travail. Et pourtant, en consultant votre facture, vous avez bien vu le prix des forfaits de données augmenter dernièrement.

Ce scénario catastrophe, c'est celui de Duncan Stewart. Son métier: directeur de la recherche et prévisionniste chez Deloitte Canada. Et il prévoit justement un engorgement des réseaux sans fil d'ici trois ans au Canada, le plus grand consommateur de données sans fil du G8 derrière le Japon, mais devant les États-Unis. Un scénario surprenant - surtout à l'aube des enchères du spectre sans fil le plus prisé de l'histoire du pays - , mais inévitable, selon lui.

Besoin d'un commencement de preuve? La vitesse des réseaux a déjà commencé à diminuer - presque de moitié - , sans que les utilisateurs s'en rendent compte. «Je constate que la vitesse des réseaux diminue depuis le début de l'année 2013. Au centre-ville de Toronto ou de Montréal, elle est passée de 50 Mbits/s à 35 Mbits/s depuis le début de l'année, un phénomène qui devrait se poursuivre pendant deux ou trois ans», dit Duncan Stewart en entrevue à La Presse.

À 35 Mbits/s, les grands consommateurs de vidéo sur leur téléphone sans fil peuvent dormir sur leurs deux oreilles. À 15 Mbits/s aussi. Mais en deçà de 5 Mbits/s, ils commenceront à voir une différence, un peu comme plusieurs de nos voisins américains à l'heure de pointe, en fin d'après-midi. «Au centre-ville de New York, je suis parfois incapable de télécharger une simple page web car la vitesse du réseau atteint 0,5 Mbit/s», dit Duncan Stewart.

Moins alarmistes, les entreprises de télécoms préviennent toutefois qu'il faudra plus de spectre - et vite - afin de répondre à la demande de leurs clients. «Je n'anticipe pas de crise, mais il y en aura une si le gouvernement ne rend pas d'autre spectre disponible à l'industrie, dit Ted Woodhead, premier vice-président des affaires réglementaires de Telus. Pour le spectre 700 MHz, nous sommes cinq ans en retard sur les États-Unis.»

«Nous ne prévoyons pas de pénurie à court terme, mais nous voyons une accélération de cette croissance exponentielle [du téléchargement des données]", dit Serge Legris, vice-président, ingénierie, du réseau d'accès sans fil de Vidéotron.

«C'est certain que le spectre est une ressource limitée et que nous n'en avons pas assez de façon générale, dit Simon Parent, chef de la planification du réseau de Rogers. Mon rôle, c'est de m'assurer [qu'un tel scénario catastrophe] n'arrive pas.»

Selon Bell, ses clients ont «actuellement accès à des vitesses de téléchargement accrues» depuis le lancement de son réseau LTE en 2011, sans toutefois préciser de vitesses. Bell n'a pas répondu aux questions de La Presse sur la vitesse de ses réseaux en 2013.

Plus de données, facture plus élevée

Déjà, les entreprises de télécoms attendent avec impatience les résultats des enchères du spectre de 700 MHz, le plus convoité depuis les premières ondes sans fil rendues accessibles aux entreprises de télécoms en 1983 (voir autre texte).

Mais le spectre de 700 MHz ne réglera pas tous leurs problèmes de réseau. Il leur manque une donnée importante afin de gérer les réseaux: la hausse de l'utilisation de la bande passante par leurs clients. «Vous donnez la bande passante, les usagers vont l'utiliser», dit Simon Parent, chef de la planification du réseau chez Rogers.

Citant une étude de Cisco, l'Association canadienne des télécommunications sans fil anticipe que les Canadiens consommeront neuf fois plus de données entre 2012 et 2017, soit une hausse annuelle composée de 57%. «C'est comme si nous avions 4 voies d'autoroute aujourd'hui et qu'il faudra 36 voies dans 5 ans», illustre son président, Bernard Lord, ancien premier ministre du Nouveau-Brunswick.

De grands consommateurs

Si de telles hausses inquiètent les gestionnaires de réseaux, c'est que les Canadiens sont déjà les deuxièmes consommateurs de données sans fil du G8. «Les Canadiens parlent cinq fois plus sur leur téléphone sans fil que les Européens et consomment deux fois plus de données qu'eux», dit Ted Woodhead, premier vice-président des affaires réglementaires de Telus.

Depuis un an, le trafic sur le réseau de Bell a doublé. La tendance se maintiendra-t-elle? «Nous entendons ces prédictions depuis un certain temps, mais vous ne savez jamais comment les clients vont réagir à la technologie», Ted Woodhead, de Telus, qui utilise le même réseau sans fil LTE que Bell.

Heureusement, il existe d'autres moyens d'optimiser son réseau que d'acheter du nouveau spectre. «Les entreprises peuvent aussi utiliser plus de tours et mettre plus d'antennes par tour», dit Amit Kaminer, analyste à la firme de recherche techno SeaBoard Group.

La nouvelle technologie LTE, implantée au Canada en 2011, aidera aussi beaucoup à moyen terme. «Le réseau LTE est plus efficace et il a la capacité de regrouper les différentes formes de communications [voix, données]. Les entreprises doivent d'abord investir pour avoir le LTE, mais leurs coûts sont ensuite réduits», dit Amit Kaminer.

Efficience du spectre

Ottawa surveillera aussi les efforts des entreprises de télécoms. «Les fournisseurs de services devront aussi continuer à accroître l'efficience de l'utilisation du spectre en investissant dans de nouvelles technologies et dans des réseaux plus robustes. Nous prévoyons un examen des prochaines étapes en matière de technologie Wi-Fi et de services de raccordement, qui sont tous deux importants pour [...] le contrôle de la congestion sur les réseaux», a indiqué par courriel Industrie Canada, le ministère fédéral responsable des enchères sans fil.

Peu importe les stratégies utilisées par les géants des télécoms, Duncan Stewart n'en démord pas: la vitesse des réseaux sans fil continuera de diminuer, au contraire des prix des forfaits de données. «Les entreprises ajusteront leurs plans de données pour décourager les clients de consommer autant de données, dit le prévisionniste de Deloitte Canada. C'est la loi de l'offre et de la demande. Si la hausse de la demande est plus grande que celle de l'offre, le prix augmente. Je ne connais pas beaucoup d'exceptions à ce principe.»

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Pour tout savoir sur le spectre sans fil...

Q Qu'est-ce que le spectre ?

R Ce sont les ondes utilisées pour communiquer, que ce soit sur le plan militaire, pour écouter la radio, regarder la télé ou se servir de son téléphone portable. Les ondes plus basses sur le spectre (ex. : 700 MHz par rapport à 2600 MHz) peuvent franchir une plus grande distance tout en pénétrant mieux les édifices, alors que les ondes plus hautes peuvent contenir davantage d'information.

Q Qui décide de libérer du spectre ?

R Au Canada, c'est le gouvernement fédéral qui est propriétaire du spectre et qui décide de son utilisation en octroyant des licences. Le gouvernement consulte l'industrie avant de libérer du spectre. En pratique, il suit souvent les recommandations de l'International Telecommunications Union (ITU), un organisme qui s'assure notamment d'une certaine conformité du spectre sans fil, ne serait-ce que pour permettre aux fabricants de téléphones portables d'avoir des téléphones qui fonctionnent dans l'ensemble des pays.

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La vitesse à laquelle va votre réseau sans fil

Il y a la vitesse maximale qu'on vous promet dans la publicité. Et il y a la vitesse réelle sur votre téléphone sans fil. La Presse a demandé aux quatre plus grands opérateurs de télécoms du Québec la vitesse de leur réseau au centre-ville de Montréal à l'heure de pointe, en fin d'après-midi. Certains ont répondu à notre appel, d'autres non. À noter que Vidéotron a un réseau 3G, moins rapide que les réseaux 4G LTE de Bell, Rogers et Telus, mais que Vidéotron passera éventuellement à la technologie 4G LTE en s'associant avec Rogers.

Vidéotron

Réseau 3G

Vitesse théorique maximale : jusqu'à 42 Mbits/s

Vitesse moyenne au centre-ville de Montréal à l'heure de pointe : 3,5 à 4 Mbits/s (avec des pointes jusqu'à 25 Mbits/s)

Telus

Réseau 4G LTE

Vitesse théorique maximale : jusqu'à 75 Mbits/s

Vitesse moyenne de téléchargement des données à l'heure de pointe à Montréal : 22 Mbits/s

Bell

Réseau 4G LTE

Vitesse théorique maximale : jusqu'à 75 Mbits/s

Bell n'a pas répondu aux questions de La Presse sur la vitesse de son réseau

Rogers

Réseau 4G LTE

Vitesse théorique maximale : jusqu'à 75 Mbits/s

Vitesse maximale à travers le pays : entre 12 et 40 Mbits/s, selon l'achalandage

Rogers n'a pas divulgué la vitesse de son réseau au centre-ville de Montréal

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L'HISTORIQUE DES RÉSEAUX SANS FIL AU CANADA EN QUELQUES DATES

1983

Le gouvernement fédéral attribue pour la première fois du spectre sans fil (entre 825 et 890 MHz) à Bell et à d'autres entreprises, qui deviendront notamment Telus et Rogers. Le spectre est offert gratuitement, mais les entreprises doivent payer pour bâtir leurs installations.

1985

Les entreprises de télécoms lancent les premiers réseaux sans fil au pays, sur les ondes analogues.

1989

Du spectre sans fil mis de côté par Ottawa est attribué aux mêmes entreprises qu'en 1983.

1995

Le gouvernement fédéral attribue de nouvelles licences de spectre sans fil à 14 entreprises.

1999

Pour la première fois, le gouvernement fédéral met aux enchères du spectre sans fil et obtient 172 millions.

2001

Le gouvernement fédéral organise d'autres enchères du spectre et obtient cette fois-ci 1,5 milliard de dollars.

2008

Ottawa réserve 45 % du nouveau spectre de 1700 MHz et de 2100 MHz aux nouveaux entrants dans le sans-fil comme Vidéotron, Mobilicity et Wind Mobile. Bell, Rogers et Telus obtiennent 55 % de ce nouveau spectre dans une enchère ayant rapporté 4,3 milliards au gouvernement fédéral.

2011

Rogers et Bell lancent leur réseau 4G LTE, la dernière technologie en matière de réseau sans fil. Telus suivra au début de l'année 2012.

Sources : Industrie Canada, National Post, Association canadienne des télécommunications sans fil