Nokia effectue un nouveau tournant historique en vendant ses téléphones portables à Microsoft, activité dans laquelle ce conglomérat finlandais né de la forêt et du papier avait été un pionnier.

Nokia a tellement bien réussi dans les portables qu'il a fait oublier tout ce qu'il a produit d'autre: papier et pâte à papier, bottes en caoutchouc, pneus, câbles, appareils électroniques divers, ordinateurs et même télévisions.

À chaque fois, le groupe a su ne pas s'éterniser sur les marchés qui devenaient moins rentables, et chercher de nouveaux débouchés.

«Ce n'est pas la première fois qu'ils prennent un tournant spectaculaire en vendant des activités», rappelle à l'AFP Jari Ojala, professeur en histoire des entreprises à l'université de Jyväskylä.

Dans les années 1990, Nokia s'était délesté de tout ce qui n'était pas la téléphonie et ses dérivés, à savoir des activités industrielles qui pesaient sur ses comptes comme les pneus (qui ont donné naissance à Nokian Tyres), les câbles ou les télévisions.

«Sans cela, ils couraient à la faillite. Ces secteurs étaient dans une phase de crise, l'environnement économique avait changé avec la chute de l'Union soviétique, et Nokia subissait des pressions internes et externes pour changer sa structure de conglomérat», se rappelle M. Ojala.

«Nokia a toujours su avoir une vue à long terme de sa stratégie. C'est la raison pour laquelle ils ont investi lourdement dans l'électronique à partir des années 1960, même si ça n'a pas payé immédiatement», souligne-t-il.

Fiabilité, robustesse et simplicité

La préhistoire du téléphone portable date de ces années-là, avec des applications d'abord militaires. Nokia est convaincu que ces technologies pourront s'imposer auprès du grand public, et va commencer par le téléphone de voiture.

En 1984, le modèle qu'il vend au dirigeant de l'URSS Mikhaïl Gorbatchev fait sensation. En 1991, Nokia fournit le combiné sur lequel le premier ministre finlandais Harri Holkeri passe le premier appel GSM de l'histoire. Cette norme de téléphonie mobile est toujours en vigueur aujourd'hui.

Nokia va devenir la référence mondiale dans les téléphones portables, avec une réputation de fiabilité, de robustesse et de simplicité d'utilisation.

Dans les années 1990, la planète entière découvre le nom d'un groupe né en 1835 avec une papeterie implantée au bord d'une rivière à Tampere.

À son apogée, Nokia est le porte-drapeau d'un petit pays à la périphérie de l'Europe qui s'est transformé en un acteur de premier plan dans l'innovation technologique et la percée d'internet dans l'économie et la vie quotidienne.

Le groupe emploiera jusqu'à 134 000 personnes en 2011. En 2007, il avait 24 700 salariés en Finlande, soit près de 1% de sa population active directement, sans compter sa multitude de sous-traitants.

La mutation de Nokia est aussi significative de celle du capitalisme, avec au départ un entrepreneur qui est aussi ingénieur, plus tard le soutien de l'actionnaire public qui se désengage dans les années 1980, et aujourd'hui un actionnariat et une implantation mondialisés.

«Changer avec l'époque, mettre à bas le statu quo: c'est ce que nous avons toujours fait», dit le groupe sur son site internet.

Nokia doit pourtant ses difficultés actuelles à un tournant mal négocié, celui des téléphones intelligents. Le finlandais se fait surprendre sur ce terrain par le canadien BlackBerry, qui dans les années 2000 séduit les cadres et dirigeants, et surtout par l'américain Apple, qui connaît un succès fulgurant auprès du grand public avec l'iPhone, lancé en 2007.

C'est un troisième concurrent redoutable qui va ravir à Nokia la place de numéro un mondial des téléphones portables: le sud-coréen Samsung, qui, ironie de l'histoire, avait d'abord misé dans les téléphones intelligents sur le système d'exploitation développé par Nokia, Symbian.