Plus ou moins discrètement, ESPN, la BBC et France Télévisions ont tous mis au rencart ou remis en question leurs projets de diffusion en 3D au cours des dernières semaines. Est-ce la fin de cette technologie? Non, disent les experts. Mais ce sera pour autre chose que la télé en direct.

La télévision en 3D devait connaître le début de son heure de gloire à l'été 2010, lors de la présentation de la Coupe du monde de soccer. C'est à ce moment que le réseau sportif américain ESPN a lancé ESPN 3D. Trois ans plus tard, en juin dernier, l'entreprise a annoncé qu'elle cessera les activités d'ESPN 3D à la fin de l'année.

Quelques jours plus tôt, la présentation 2013 du tournoi de tennis de Roland-Garros prenait fin sans que France Télévisions ait retransmis le moindre match en 3D - une première depuis 2010.

Le retrait d'ESPN fait maintenant hésiter la Fédération internationale de football (FIFA), qui pourrait renoncer à la 3D pour la Coupe du monde 2014, qui aura lieu au Brésil.

La vénérable BBC en a ajouté une couche au début du mois de juillet en annonçant qu'elle diffusera sa dernière émission en 3D en novembre. Le diffuseur public anglais a notamment retransmis les Jeux olympiques de Londres et plusieurs autres émissions, de genres variés, en 3D.

«Je n'ai jamais vu de grand appétit pour la télévision en 3D au Royaume-Uni», confiait alors la responsable de cette technologie à la BBC, Kim Shillinglaw, dans une entrevue au site spécialisé anglais Radio Times.

La faute des lunettes

Principal coupable désigné pour cet échec: le port obligatoire de lunettes spéciales.

«C'est une expérience complexe à la maison, explique Mme Shillinglaw. Il faut trouver ses lunettes avant d'ouvrir le téléviseur. Je crois que les gens ont une certaine façon de se concentrer en écoutant la télévision, alors que quand ils vont au cinéma, ils sont habitués de ne faire qu'une chose à la fois. Je crois que c'est l'une des raisons pour lesquelles la télévision 3D a déçu.»

Tant ESPN que la BBC ont toutefois indiqué qu'il n'était pas impossible qu'ils reviennent à la diffusion 3D si le taux d'adoption venait à augmenter.

«C'est la fin de la diffusion télévisuelle en 3D, mais pas de la 3D à la maison, il y a une grande différence entre les deux», estime Nicholas Routhier, PDG de Sensio, une entreprise québécoise active dans le secteur de la télé 3D.

«La 3D était partie en peur en 2010, raconte-t-il. Les gens voyaient là une super opportunité, et ils se sont lancés de façon prématurée dans toutes sortes d'aventures 3D. Il y a très peu de gens qui se sont investis de manière rationnelle et intelligente là-dedans.»

L'écoute de la télé en 3D ne pourra gagner en popularité tant qu'elle nécessitera des lunettes, croit-il lui aussi. «C'est bien de valeur, mais pour regarder des émissions de télé en 3D, ça va prendre des écrans autostéréoscopiques. On écoute la télévision en cuisinant, en parlant avec des amis, en regardant son iPad... C'est une expérience où on peut être assez distrait.»

D'autres usages

Avoir un téléviseur 3D à la maison n'est pas pour autant inutile, selon lui. La vidéo sur demande, les événements spéciaux à la carte et les films sur support Blu-ray - tous des expériences «occasionnelles» - sont selon lui beaucoup plus réalistes. Son entreprise offre justement un service de vidéo sur demande en 3D, baptisé 3DGO.

«Le créneau de la 3D, c'est vraiment plus les films loués ou achetés», confirme Robert Borzelli, conseiller chez Fillion Électronique, un détaillant spécialisé haut de gamme.

Selon lui, la bande passante des fournisseurs de services télé n'est pas assez élevée pour offrir un signal 3D de bonne qualité.

«Les fois où il y a eu le Super Bowl ou des matchs de hockey en 3D, ce n'était pas très réussi, et les gens avaient un goût amer, parce que c'était loin d'être parfait.»

Au Canada, la diffusion d'émissions de télévision en 3D est à peu près restée un rêve. Les exceptions sont surtout venues de la CBC et d'Astral.

Ainsi, la CBC a notamment diffusé une visite de la reine et deux matchs de hockey en 3D en 2010 et en 2011. Il n'était même pas nécessaire d'être propriétaire d'un téléviseur 3D pour voir Sa Majesté en trois dimensions, puisqu'on avait alors employé une ancienne technique nécessitant l'utilisation de lunettes rouges et bleues.

Pour sa part, la chaîne Super Écran, d'Astral, diffuse à l'occasion des films en 3D et le fera d'ailleurs au moins une fois par semaine tous les mercredis du mois d'août. Une autre de ses chaînes, Z Télé, diffuse elle aussi à l'occasion des émissions en 3D.

Les services de vidéo sur demande de Vidéotron (Illico) et Bell offrent eux aussi quelques films en 3D à leurs abonnés.

Autrement, les principaux diffuseurs interrogés à ce sujet n'ont démontré aucun intérêt à court terme pour la 3D.

Le principal réseau sportif québécois, RDS, a modernisé son parc technologique il y a quelques années. L'occasion aurait été belle de se préparer à la 3D, mais l'entreprise n'y a pas vu d'intérêt, selon Patrick Jutras, vice-président ventes et marketing.

«Nous nous sommes posé des questions, mais nous n'en sommes pas venus à la conclusion qu'à court terme, écouter un match de hockey des Canadiens en 3D allait être une expérience ultime. Peut-être à cause de la rapidité du jeu et du fait qu'un match dure deux heures, deux heures et demie. Je ne dis pas que le projet est enterré, mais ça ne fait pas partie des projets aujourd'hui.»

Idem pour Radio-Canada, où la porte-parole Nathalie Moreau explique que les coûts de production élevés, la faible pénétration des téléviseurs 3D et le peu de disponibilité de productions 3D rendent la chose peu intéressante.

«Les prochains Jeux olympiques ne seront même pas captés en 3D», rappelle-t-elle.

Pas très populaires, les téléviseurs 3D

Les ventes de téléviseurs 3D ont bien progressé au cours des dernières années au Canada, mais il ne faut pas y voir un signe fiable de l'intérêt réel des téléspectateurs pour cette technologie, préviennent les observateurs.

L'ennui, c'est qu'on ignore combien de ces acheteurs tenaient réellement à cette fonction et combien ont simplement acheté un téléviseur qui en était pourvu.

«Tous les téléviseurs performants sur le marché actuellement offrent la 3D», explique Robert Borzelli, conseiller chez Fillion Électronique, un détaillant haut de gamme. «Je dirais que 60% des gens qui ont été «forcés» d'acheter cette fonction ne s'en sont jamais servi.

Selon un sondage mené par le NPD Group Canada, 10 % des consommateurs estiment que leur télé devrait être en mesure de leur fournir une image en trois dimensions. En comparaison, ils sont 30 % à souhaiter que leur télé offre une connexion internet.

«Depuis le temps, je dirais que c'est resté stable ou ç'a diminué pour la 3D, alors que ç'a probablement un peu augmenté pour internet», croit Mark Haar, directeur pour le marché des appareils électroniques au NPD Group Canada.

Depuis quelques mois, c'est une autre technologie, l'Ultra HD ou «4K» qui est sur toutes les lèvres. Celle-ci promet une résolution d'image quatre fois supérieure à la meilleure haute définition actuelle.

«On le sait déjà, au prochain Consumer Electronics Show, en janvier à Las Vegas, tout ce dont les gens vont parler, c'est le 4K», annonce Nicholas Routhier, PDG de Sensio, une firme québécoise active dans la technologie 3D. «Mais ça va s'essouffler aussi.»

Les annonces d'ESPN et de la BBC vont refroidir le marché des téléviseurs 3D, mais pas le tuer, croit-il.

«Il va y avoir une petite crise de confiance qui devrait durer six mois ou un an, mais au final, ce qui compte, c'est la qualité de l'expérience. Les gens aiment l'expérience. À partir de là, il faut trouver le moyen de leur emmener comme il le faut.»

Vente de téléviseurs 3D au Canada

2012: +28%

2013: +12%

Source: NPD Group Canada