Du Vieux-Montréal à Villeray en passant par Rosemont, ils s'unissent les uns aux autres pour «bâtir» le Montréal où on aime sortir, boire et manger.

Les propriétaires de bars et de restos montréalais s'entrecroisent et s'associent

Éric Le François détient la Taverne Normand, notamment avec François Forest et Fabien Lacaille. Fabien Lacaille détient le Furco, entre autres, avec Zébulon Perron qui, lui, est associé avec Éric Le François au Philémon... Au jeu de l'investissement dans le milieu des bars et de la restauration, on peut tisser une toile de propriétaires unis dans un projet, puis un autre.

Pour ouvrir le restaurant Helena, Jorge Da Silva Jr, de Groupe MTL, s'est uni au Groupe Portuscalle, avec qui deux autres projets sont en chantier. Depuis qu'ils ont mis au monde le restaurant Mangiafoco, Éric Le François et Jeff Stinco, membre du groupe Simple Plan, sont inséparables. «Je fais de l'intégration verticale, explique Éric Le François. Nos bières de la brasserie West Shefford sont dans tous nos endroits depuis décembre 2012. Notre modèle nous amène des économies d'échelle.»

Chez les Holder, les frères Paul, Maurice et Richard forment un trio d'affaires depuis les années 1980 (Business, Mateo). «On invite des amis à investir, mais on s'arrange toujours pour détenir plus de 50% des parts à trois.»

Le modèle plaît et, à Montréal, il n'est pas singulier! «Ici, ça se voit beaucoup de s'associer, confirme Ludovic Delonca, des restos Européa (avec Jérôme Ferrer, Patrice De Felice et Francis Reddy). En France, je ne voyais pas ça. Dans le cas de Jérôme Ferrer, ça a démarré d'une amitié tout simplement. J'ai fait l'école d'hôtellerie avec lui. Et je suis devenu son beau-frère. À trois ou quatre, on fait plus de choses que seul. Chacun se réserve où il a ses forces.»

«Dans le cas du Bily Kun, je n'avais pas le financement pour partir seul, raconte Fabien Lacaille. Mais au bout du compte, si tu ne fais qu'engager des gens à salaire, personne ne va mettre de l'énergie à un endroit comme tu le ferais.»

De son côté, François Forest possède de 10 à 30% de parts des bars-restos auxquels il est lié. «On est tous un peu fous et excentriques dans ce milieu, dit celui qui exploite notamment le Barraca depuis 10 ans. On pense chaque fois avoir trouvé la meilleure idée! Mais je suis assez relax en affaires. Je n'ai jamais fermé un bar. Ma réputation est plus importante que le montant d'argent que je vais faire.

«Je n'emprunte pas, poursuit Forest. J'ouvre avec mon argent. Les dividendes sont déposés dans un compte. Si je dépense cet argent, je paye 30% d'impôts. Ça me motive donc à réinvestir. Et c'est une drogue, les bars!»

Non loin du Barraca, le Bily Kun est un des premiers bars à avoir donné un nouveau souffle à l'avenue du Mont-Royal, à la fin des années 90. «Chaque autruche accrochée au mur porte le nom d'une personne qui a participé au financement et à l'ouverture du bar, raconte Fabien Lacaille. On était trois au départ. On a mis 15 000$ de notre poche et on a emprunté 60 000$ à la banque. Je venais de visiter une taverne sur Mont-Royal. Il y avait des vidéopokers, et le propriétaire se trouvait tout au fond. Eh! bien, une poignée de main et c'était fait!»

Les bars de vidéopokers, sombres et vides? La manne de plusieurs jeunes entrepreneurs. «Ça a permis à plein d'investisseurs de 30 ans, à qui les banques ne prêtaient pas d'argent, d'ouvrir de petits endroits, explique Éric Le François. Surtout quand la loi antitabac est entrée en vigueur, en 2006. Ces endroits se sont vidés et ont été cédés à prix abordables.»

Éric Le François ne changerait pas de modèle. «Avoir des investisseurs est un des seuls moyens d'arriver à nos fins, estime-t-il. Il y a tellement de compétition! Seul, ça prend toute une machine de promotion. C'est mieux d'avoir des alliés, quitte à devoir gérer des divergences et des conflits.»

Les propriétaires des restaurants Européa préfèrent pour l'instant rester «en famille». «On reste un groupe émergent [chiffre d'affaires dans les huit chiffres, en hausse de 7%], estime Ludovic Delonca. On ouvre un resto tous les deux ans, par plaisir et pour diversifier notre offre.»

Les investisseurs de longue date se connaissent tous, ou presque. «On se connaît tous par nom et réputation, souligne Jorge Da Silva. Le mot se passe vite dès qu'un chef bouge ou qu'une soirée est plus tranquille!»

«On est tous en compétition, même si on est contents de se voir, résume Éric Le François. C'est une saine compétition.»

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Spécialistes des longues durées


Les bars Bily Kun et Edgar Hypertaverne célèbrent respectivement leurs 15 et leurs 12 ans cette année! Un miracle dans un secteur hyper compétitif et soumis aux tendances faisant migrer la clientèle ailleurs.

«J'ai tout le temps eu une vision à long terme, même si le milieu des bars est reconnu comme une entreprise peu sérieuse, affirme Éric Le François, qui a possédé Le Diable vert pendant 14 ans. La grosse vague dure deux ans, surtout dans le marché des 5 à 7. Il y a les jet-setters qui courent les nouvelles places. Mais il faut toujours être prêt à faire face à une nouvelle vague de personnes.»

Risque

À Montréal, où l'on comptait 5247 restaurants en 2012, un établissement sur quatre ferme ses portes moins d'un an après son ouverture. En cinq ans, 7 sur 10 rendent l'âme, selon des données gouvernementales. «C'est un métier, la restauration! mentionne François Forest. Il y a autant de comptabilité que d'entregent. Il faut être à l'affût des tendances. Le dentiste fait 20 transactions par jour. Pour moi, chaque bière en est une. Le facteur de risque est multiplié.»

«Les gens disent: "Jefais la cuisine chez moi, doncje peux ouvrir un resto...", souligne Dimitri K. Antonopoulos, vice-président, marketing et développement, hôtels et restaurants, du Groupe Antonopoulos. Alors que ça implique beaucoup de personnel. Le concept doit être à jour. La nourriture doit être bonne.»

Depuis 1973, plusieurs restos et hôtels du Vieux-Montréal portent la griffe Antonopoulos. L'entreprise de 800 employés voit son chiffre d'affaires (dans les sept chiffres par restaurant) croître de 3 ou 4% annuellement.

Ce n'est pas la seule famille à investir dans cette partie de la ville. La famille Holder a son resto du même nom rue McGill. Éric Le François y a ses adresses, tout comme Jorge Da Silva. «On ne vise pas à avoir 100 restos ni de franchises, dit ce dernier. On a eu bien des offres pour aller au Quartier DIX30 et sur le boulevard Saint-Laurent. Mais j'habite dans le Vieux-Montréal et j'aime investir dans mon coin.»

Au Groupe MTL, la croissance s'établit à 10%. «On a connu une baisse de 20% durant les manifestations étudiantes, affirme toutefois Da Silva. Ça a affecté nos dîners d'affaires, notre clientèle principale. Et un bon midi peut aider à payer un loyer.»

«Le début d'année a été difficile dans l'industrie en général, renchérit Dimitri Antonopoulos. Et la restauration est le secteur le plus touché au Canada. Nos fournisseurs nous disent que ça ne va pas très bien.»

Mais ne demandez pas à ces propriétaires d'oeuvrer dans un autre milieu! «L'énergie mise pour offrir un bon produit, à temps, par des serveurs compétents à 200 personnes, c'est quelque chose! lance Paul Holder. Je remercie Dieu de ne pas contrôler un bateau de croisière de 5000 personnes! On a souvent plié bagage, mais on est incapables de ne rien faire.»

Les Holder viennent de mettre la main sur le local autrefois occupé par Le Murphy, à Outremont. «On a payé un prix significatif, mais pour un emplacement singulier auquel on croit énormément», explique Paul Holder.

Derrière tout projet, il y a l'idée de ne pas se tromper. «On a acquis un local sur Villeray, raconte François Forest. Un projet de plus de 400 000$. Depuis l'ouverture du Quai no. 4, je cherche des permis de bar de 1000 à 2000 pieds carrés. Je fais des études de marché complètes de la place.»

«Dans tout ce qu'on va faire désormais, on veut comprendre ce que les gens ont envie de manger, dit aussi Paul Holder. On n'est pas des réinventeurs de la roue. S'ils désirent des tartares, on va le mettre au menu... avec un peu de créativité.»

Défi

Si ouvrir un restaurant est facile, assurer sa pérennité relève de l'acrobatie. Sur ce point, les propriétaires interviewés énumèrent les mêmes aléas: rétention difficile des salariés, accès réduit au Plateau, hausse significative des taxes, réfection des rues, éclosion commerciale des banlieues... «Montréal a plus de restos par habitant que New York! note aussi Jorge Da Silva. On n'a pas assez de touristes. On ne peut s'offrir non plus de prix extravagants... ni compétitionner avec ceux du St-Hubert!»

«Les marges diminuent, ajoute Éric Le François. Les loyers ont triplé sur le Plateau. Mais je ne peux tripler le prix de ma bière!»

Outre les statistiques sur les fermetures d'établissements, il y a les perceptions qui plombent parfois le rendement. «Comme celle que nous sommes des entrepreneurs qui font beaucoup d'argent au noir, raconte Ludovic Delonca. Alors que 96% de notre chiffre d'affaires est par carte de crédit.»

Malgré tout... «J'aime voir les clients avoir du plaisir et trouver la formule qui dure, dit Dimitri Antonopoulos. Il y a toujours de l'action.»

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QUI POSSÈDE QUOI?

1 - Ludovic Delonca

Restaurant Européa

Européa Espace Boutique

Beaver Hall par Européa

Andiamo par Européa

Birks Café par Européa

Café Grévin par Européa

CDA-teq

2 - Jorge Da Silva Jr, Groupe MTL Cuisine

Bar & Boeuf

Les 400 coups

Venti Osteria

Helena

Racines (juin 2013)

3 - Fabien Lacaille

Bar Bily Kun

Salle O Patro Vys

Bar Plan B

Taverne Normand

Buvette chez Simone

Furco

4 - Éric Le François

Edgar Hypertaverne

Taverne Normand

Chez Victoire

Drinkerie Ste-Cunégonde

Philémon Bar

Taverne Saint-Sacrement

Mangiafoco

Bar Courcelle

Edgar Hyperlodge

Edgar Café

Brasserie West Shefford

5 - François Forest

Barraca

Helm

Bar Inc.

Taverne Normand

Quai No. 4

Rachel Rachel

Monsieur Smith

6 - Famille Antonopoulos

Vieux-Port Steakhouse

Bevo Bar + Pizzeria

Modavie Bistro

Auberge du Vieux-Port

Terrasse sur l'Auberge

Taverne Gaspar

Terrasse Place d'Armes

Suite 701

Terrasse Nelligan

Méchant Boeuf

Verses

Kyo Bar Japonais

7 - Paul Holder

Café du Nouveau Monde

Holder

Le Waverly

Photo Edouard-Plante Fréchette, La Presse

Paul Holder