Hydro-Québec n'a pas tardé à réagir quand SNC-Lavalin a décroché le juteux contrat d'ingénierie pour le projet hydroélectrique de Muskrat Falls, à Terre-Neuve-et-Labrador, en décembre 2010.

Plusieurs sources indépendantes ont indiqué à La Presse Affaires que la société d'État a rapidement écarté le géant montréalais de ses chantiers les plus importants, y compris le plus gros de tous: celui du complexe hydroélectrique La Romaine, sur la Côte-Nord.

«SNC a été mis en pénitence, c'est ça que nous disons dans l'industrie», a confié au cours d'un entretien téléphonique un haut dirigeant d'une firme de génie québécoise qui a requis l'anonymat.

Les plans et devis ainsi que la conception détaillée des principaux ouvrages de la première phase du projet, La Romaine-2, avaient été confiés à un consortium formé de SNC et du géant américain Aecom pour 37 millions de dollars en 2008. Mais pour les deux phases subséquentes, La Romaine-1 et La Romaine-3, le travail a été confié à Aecom seulement. Valeur de ces deux contrats: 49,4 millions.

SNC-Lavalin a soumissionné pour Muskrat Falls en connaissance de cause. «Hydro avait averti ses fournisseurs de génie-conseil que s'ils travaillaient pour Muskrat Falls, ils ne travailleraient pas pour Hydro. Ç'avait été un avertissement très clair», a indiqué une source bien branchée dans l'industrie.

En fait, pour que le message soit bien compris, la mise en garde aurait été réitérée personnellement par le PDG d'Hydro-Québec, Thierry Vandal, à son homologue de l'époque chez SNC, Pierre Duhaime. Ce dernier a quitté l'entreprise en avril 2012 dans la foulée d'un scandale de malversations. Il est notamment accusé de fraude.

«Si vous obtenez le contrat de Muskrat Falls à Terre-Neuve-et-Labrador, vous pouvez oublier vos relations avec Hydro-Québec», aurait ainsi dit M. Vandal à M. Duhaime, d'après une source.

Marie-Élaine Deveault, porte-parole de la société d'État, a confirmé la décision en fin de journée hier. L'exclusion de SNC-Lavalin touche tous les contrats majeurs, et ce, dans les trois divisions d'Hydro: Production, TransÉnergie et Distribution.

«Nous nous attendons à un engagement total de nos fournisseurs quand nous donnons des mandats, spécialement en ingénierie et sur des projets majeurs de plusieurs milliards de dollars», a-t-elle déclaré au cours d'un entretien téléphonique.

«Nous voulons nous assurer de la réussite de nos projets et nous voulons que les firmes puissent nous fournir les meilleures ressources et la meilleure expertise, a-t-elle ajouté. Ici, on parle de deux projets sur des territoires qui sont à proximité, donc on est en concurrence pour les meilleures ressources.»

Départ

D'ailleurs, à l'été 2011, SNC-Lavalin a drôlement déplu à Hydro-Québec en débauchant Normand Béchard, un vieux routier de la société d'État qui dirigeait le chantier de l'Eastmain-1-A-Sarcelle-Rupert, à la baie James. M. Béchard gère aujourd'hui le projet Muskrat Falls chez SNC.

Il faut dire que, pour la multinationale québécoise, le contrat terre-neuvien s'annonce lucratif: il est évalué à 60 millions pour l'ingénierie, ce à quoi s'ajoute la gestion du projet.

En écartant SNC-Lavalin, Hydro se retrouve dans une situation particulière. Pendant plusieurs années, trois firmes se sont partagé les contrats de conception des grands barrages: SNC, RSW et Tecsult. Or, RSW et Tecsult ont toutes deux été absorbées par Aecom au cours des dernières années, de sorte qu'il ne reste, du moins pour l'instant, qu'un seul acteur dans le secteur.

«C'est clair que c'est toujours utile d'avoir plus qu'une firme dans le système», note Roger Warren, cofondateur de RSW, aujourd'hui retraité. Il fait toutefois remarquer que les firmes ont bien peu de marge de manoeuvre pour négocier la valeur des contrats avec Hydro.

«Hydro-Québec fixe le nombre d'heures travaillées en fonction de son expérience, et la rémunération des ingénieurs est régie par une entente négociée avec l'Association des ingénieurs-conseils du Québec», a indiqué à cet effet Mme Deveault.

Leslie Quinton, porte-parole de SNC-Lavalin, n'a pas voulu commenter le dossier directement.

«Nous entretenons une relation très proche d'Hydro-Québec depuis des années, a-t-elle écrit dans un courriel. Nous avons été touchés par l'accueil généreux que [le nouveau PDG] Bob Card a eu lors de son arrivée chez SNC-Lavalin par la haute direction d'Hydro-Québec.»

Rappelons que SNC a récemment été placé sur la liste noire de la Banque mondiale et de l'Agence canadienne de développement international (ACDI) en raison d'une affaire de corruption au Bangladesh.