Montréal ratera des projets d'investissement au profit d'autres villes dans le monde si le gouvernement Marois n'annonce pas bientôt le renouvellement d'un crédit d'impôt en technologie qui arrive à échéance en 2015.

C'est la menace que fait planer Maroun Chkeiban, vice-président aux services corporatifs de SITA, une multinationale suisse qui a fait de Montréal l'un de ses pôles de développement au cours des dernières années.

Lors d'un passage à Montréal cette semaine, ce haut dirigeant basé à Genève a affirmé à La Presse Affaires que l'incertitude qui entoure le renouvellement du crédit d'impôt pour le développement des affaires électroniques (CDAE), qui arrive à échéance à la fin de 2015, nuit actuellement à la candidature de Montréal pour attirer des projets au sein de la multinationale.

«Nous ne pouvons pas attendre, a-t-il dit. Aujourd'hui, nous sommes en train de décider où nous baserons nos nouvelles applications pour 2015 et 2016. Montréal demeure toujours une ville intéressante pour nous, mais d'autres juridictions cognent à notre porte, des endroits comme Long Island, dans l'État de New York, le Costa Rica ou Burlington, en Ontario.»

Centre de contrôle aérien

SITA, pour Société internationale de télécommunication aéronautique, est une multinationale de 4500 employés qui fabrique des technologies de communication pour l'industrie aéronautique.

C'est un secret bien gardé, mais l'entreprise a installé à Montréal l'un de ses deux centres de commande mondiaux, l'autre étant situé à Singapour.

C'est ici, dans une salle à la fine pointe de la technologie, que sont contrôlés la sécurité, l'émission des cartes d'embarquement, l'enregistrement des passagers et la gestion des bagages de 180 aéroports dans le monde.

Sur des écrans géants est affiché l'état de chacun des aéroports sous forme de codes de couleur. Amman en rouge, Brisbane en jaune, Tokyo en vert: en un coup d'oeil, les employés voient où sont les problèmes.

Un étage plus haut, ce sont les communications entre les avions et le sol qui sont gérées par SITA. L'entreprise a déployé partout sur la planète 1700 antennes à très haute fréquence qui permettent aux avions de communiquer avec la terre ferme. Toutes les données échangées transitent par Montréal ou Singapour. Le développement des nouvelles technologiques et des nouveaux standards de communication est aussi fait à Montréal.

C'est en 2008 que SITA a décidé d'installer ces infrastructures à Montréal. L'entreprise dit y avoir trouvé une stabilité économique et politique, un bassin de travailleurs qualifiés qui parlent de nombreuses langues et une ouverture aux autres cultures qui lui permet de desservir des clients occidentaux, arabes ou cubains sans problèmes.

Crédit déterminant

Le crédit d'impôt pour le développement des affaires électroniques du gouvernement du Québec, qui s'applique sur 30% des salaires des employés qui travaillent en affaires électroniques, a fini de faire pencher la balance. Selon Maroun Chkeiban, environ la moitié des employés montréalais y sont admissibles.

«Sans le CDAE, je crois que cette équipe ne serait pas entièrement à Montréal. On aurait probablement choisi un troisième pôle [en plus de Montréal et Singapour]. Peut-être qu'on aurait mis plus d'applications au Costa Rica ou en Europe de l'Est», dit-il.

Aujourd'hui, M. Chkeiban trouverait logique de greffer certains projets au centre montréalais, où il y a déjà une masse critique. Mais le fait qu'il soit incapable de chiffrer ses coûts de main-d'oeuvre à Montréal au-delà de 2015 rend les décisions difficiles.

«Soyons clairs. On ne va pas fermer les portes à Montréal si le crédit tombe, précise-t-il. Mais on ne va pas les ouvrir non plus.»

Au ministère des Finances et de l'Économie du Québec, on affirme ne pas savoir quand on décidera de renouveler ou non le fameux crédit d'impôt. «La décision est à l'étude», dit le porte-parole, Guillaume Plante.

«Moi, à la limite, je m'en fous, en tant qu'entreprise, laisse tomber M. Chkeiban. Des pays où s'installer, il y en a tellement. Demain matin, on peut être à Burlington comme à Long Island, à Atlanta ou au Costa Rica. Mais on ne peut pas attendre 2014 ou 2015 pour prendre nos décisions.»

Un crédit d'impôt payant pour la province

Le crédit d'impôt pour le développement des affaires électroniques a coûté 233 millions à l'État québécois en 2011. Mais ses retombées sont plus importantes que ses coûts et il devrait être renouvelé.

C'est la conclusion à laquelle en est venue la firme Raymond Chabot Grant Thornton dans une analyse publiée en février.

En 2011, 11 650 emplois ont été soutenus par le crédit d'impôt. Selon l'étude, le tiers de ces emplois ont été directement créés ou maintenus grâce à lui. Raymond Chabot Grant Thornton calcule qu'en payant leurs impôts et leurs taxes, ces travailleurs ont envoyé 253 millions dans les coffres des gouvernements, soit davantage que le coût de la mesure.

L'étude souligne cependant que les bienfaits vont au-delà des retombées fiscales. En encourageant le développement de technologies de l'information au Québec, le crédit profite indirectement à toutes les entreprises qui utilisent ces technologies, ce qui contribue à l'accroissement de la productivité et au dynamisme économique du Québec.

SITA

> Siège social à Genève, en Suisse

> Fondée en 1949 par 11 entreprises aériennes pour développer des technologies de communication destinées à l'industrie aéronautique

> 4500 employés

> 2800 clients dans 200 pays