Gérer une entreprise afin de créer avant tout de la valeur pour ses actionnaires n'est pas dans son intérêt à long terme. Ce n'est pas l'éducation qui est la source principale des gains de productivité, mais la mécanisation. Le télégraphe et la machine à laver ont changé le monde plus que l'internet.

La liste des idées reçues que déboulonne une à une Ha-Joon Chang dans son lumineux et très accessible essai, 2 ou 3 choses que l'on ne vous dit jamais sur le capitalisme, est bien plus longue encore.

Il y en a 23 en tout, auxquelles il consacre chacune un chapitre qu'on peut lire dans l'ordre qui nous sied. Chang prend d'ailleurs soin de nous renvoyer à telle ou telle autre partie de son ouvrage lorsqu'il résume un argument développé ailleurs.

En fait, son entreprise vise surtout mais pas exclusivement à démonter une à une les pseudovérités de l'école néolibérale qui, après 30 ans d'hégémonie, ont fait vaciller l'économie capitaliste que Chang défend néanmoins. «Le capitalisme se développe par des investissements à long terme, par des innovations technologiques qui transforment des structures de production et pas par simple expansion des structures existantes, comme lorsqu'on souffle un ballon», explique l'essayiste coréen.

Cela l'amène à critiquer d'emblée le credo de la maximisation de l'avoir des actionnaires qui conduit les entreprises à leur perte, à moyen terme. Les actionnaires d'aujourd'hui, argue-t-il, sont les moins impliqués dans les entreprises. Ils appartiennent au capital financier, de plus en plus fluide, qui ne vise que la rentabilité à court terme, sans souci pour les autres parties prenantes des entreprises que sont ses employés, ses fournisseurs ou ses sous-traitants.

«Le pire dans la maximisation de la valeur pour l'actionnaire, c'est qu'elle n'est même pas bonne pour l'entreprise», écrit-il. Il donne l'exemple de la conduite de la General Motors depuis les années 80 où la recherche et développement a cédé le pas aux rachats d'actions et aux versements de dividendes, avec les résultats désastreux qu'on sait.

Il écorche au passage la rémunération excessive des dirigeants des grandes sociétés, surtout dans les pays anglo-saxons, on s'en doute bien. Mais il s'attaque davantage à toute la logique néfaste qui découle de la domination du capital financier, à commencer par l'obsession du contrôle de l'inflation. «Dans les trois dernières décennies de domination du marché libre et de politiques anti-inflationnistes fortes, la fréquence et l'envergure des crises financières ont augmenté: à cet égard, le monde est devenu plus instable.»

Alors pourquoi avoir accru l'insécurité d'emploi ou les crises bancaires? «Parce que beaucoup d'actifs financiers ont des taux de rendement nominaux fixes, si bien que l'inflation réduit leur rendement réel», répond-il sans ambages.

Mesures pour ralentir

À cet égard, il constate que les marchés financiers sont devenus trop efficaces, c'est-à-dire que leur mobilité est telle qu'ils se sont détachés de l'économie réelle au lieu de la servir. C'est un peu comme si la queue remuait le chien.

Il préconise plusieurs mesures pour les ralentir: compliquer les offres publiques d'achat (OPA) hostiles, stopper les ventes à découvert, restreindre la circulation transfrontière des capitaux dans les économies émergentes et, surtout, interdire la mise en marché de nouveaux produits dérivés tant que la démonstration de leur utilité pour l'économie réelle n'aura pas été faite. Un peu comme on le fait pour un nouveau médicament, ou un nouvel aéronef, en somme.

Chang défend le rôle de l'État dans la planification du développement, le développement d'infrastructures et d'institutions, l'élaboration de lois et de règlementations. Cela facilite l'orientation et le déploiement des entreprises dans un environnement dont elles peuvent mieux apprécier les occasions et les risques. «Bien conçue et correctement mise en oeuvre, l'intervention de l'État peut rendre l'économie plus dynamique en augmentant l'offre de certains intrants que les marchés fournissent insuffisamment (comme la recherche-développement ou la formation de la main-d'oeuvre) en partageant les risques dans les projets à rendements sociaux élevés mais faibles rendements privés.»

Il se porte aussi à la défense de l'État providence, l'équivalent pour les travailleurs de ce qu'est le code des faillites pour les entrepreneurs, c'est-à-dire la possibilité de se refaire.

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Ha-Joon Chang. 2 ou 3 choses que l'on ne vous dit jamais sur le capitalisme. Seuil. 2012. 357 pages.