Le gouvernement Harper ne semble pas vouloir s'en mêler, mais Bell ne lui donnera pas le choix. Dans l'espoir de sauver son acquisition d'Astral, Bell demandera en début de semaine à Ottawa de dicter au CRTC comment calculer les parts de marché dans l'examen d'une transaction. Résultat: si Bell obtient gain de cause auprès d'Ottawa, il fera une nouvelle demande au CRTC, qui pourrait difficilement l'empêcher d'acheter Astral cette fois-ci.

Qualifiant la décision du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) de «ridicule» et ne faisant «aucun sens», le président et chef de la direction de Bell, George Cope, espère que le gouvernement Harper se rendra à ses arguments. «J'espère que des esprits plus calmes regarderont cette décision et se diront: «pourquoi on a refusé cette transaction autrement que parce que Vidéotron ne veut pas de concurrence?»», a dit M. Cope en entrevue à La Presse.

Le gouvernement Harper a pourtant été clair vendredi : pas question de modifier la décision du CRTC, qui a bloqué jeudi la transaction au motif que Bell-Astral pourrait exercer son pouvoir commercial «de manière inéquitable» et en faisant «obstacle à une saine concurrence». «Le CRTC prend ses décision indépendamment du gouvernement du Canada. Le gouvernement n'a pas l'autorité légale nécessaire pour renverser cette décision», a indiqué l'attaché de presse du ministre du Patrimoine James Moore, Sébastien Gariépy, par courriel à La Presse.

Confusion à Ottawa?

Bell ne demande pas de renverser la décision, mais plutôt d'émettre un décret qui dictera au CRTC comment calculer les parts de marché dans l'examen d'une transaction. Y a-t-il confusion à Ottawa? Bell espère que oui. «Nous allons faire notre demande et le gouvernement fera ce qu'il estime approprié, dit George Cope. Je serais toutefois perplexe si le gouvernement ne voulait pas au moins regarder ce que nous avons à dire»

Le principal reproche de Bell au CRTC: d'avoir utilisé les parts d'écoute des chaînes canadiennes pour déterminer que Bell/Astral serait trop puissant au petit écran. Bell fait valoir que la politique du CRTC, adoptée en 2008, parle de «l'ensemble de l'écoute de la télévision», ce qui inclut l'écoute des chaînes étrangères comme CNN. Avec cette deuxième définition, Bell/Astral a des parts de marché inférieures à 35%, le seuil où le CRTC commence à s'inquiéter pour une saine concurrence.

«Avec l'interprétation correcte des parts de marché, il n'y aurait aucun problème à faire approuver la transaction, mais le CRTC a changé les règles, dit George Cope. Imaginez si vous enleviez de l'équation des parts de marché les 200 chaînes internationales? Comment pouvez-vous dire que CNN ne concurrence pas CBC News? N'importe quel Canadien dirait que oui.»

«Pas beaucoup de portes ouvertes», selon Cope

Advenant un refus d'Ottawa de dicter une nouvelle méthode de calcul au CRTC, Bell voudra-t-elle acheter seulement une partie d'Astral, par exemple les chaînes francophones de télé pour rivaliser avec Québecor? George Cope n'a pas voulu spéculer sur la question, tout en convenant qu'il serait difficile pour Bell de se présenter à nouveau devant le CRTC avec les mêmes règles. «En lisant la décision du CRTC, il n'y a pas beaucoup de portes ouvertes pour nous, dit-il. Le CRTC ne nous a pas laissé acheter aucun des actifs d'Astral.»

Bell dénonce aussi que le président du CRTC Jean-Pierre Blais ait rencontré les lobbyistes de Cogeco le 29 août et ceux de Québecor le 5 septembre, soit cinq jours avant le début des audiences publiques sur la transaction. «Nous avons demandé des rencontres que le CRTC nous a refusés - une décision appropriée dans les circonstances -, mais je n'étais pas content de constater que nos concurrents ont pu rencontrer des dirigeants du CRTC, dit George Cope. (...) (Dans la décision), ça semble être Québecor qui parle.»

En comité parlement plus tôt ce mois-ci, Jean-Pierre Blais, nommé en juin à la tête de l'organisme fédéral, a expliqué ne jamais discuter des affaires dont le CRTC est saisi lors de ses rencontres avec des loybbistes «de manière à nous assurer que l'intégrité de notre processus est maintenue.» Comme ses prédécesseurs, M. Blais entend rencontrer des lobbyistes de l'industrie, question de ne pas «vivre dans une tour d'ivoire».

Au Québec, Cogeco et Québecor étaient les deux opposants les plus bruyants à la transaction. Alors que Cogeco s'est réjoui de la décision du CRTC dans l'heure qui a suivi, Québecor n'a pas commenté la décision du CRTC. Durant les audiences, le président et chef de la direction de Québecor, Pierre Karl Péladeau, avait indiqué que Bell-Astral «étoufferait toute concurrence» à la télé et à la radio au pays.