Les Américains Alvin Roth et Lloyd Shapley ont obtenu le Prix Nobel 2012 d'Économie pour leurs travaux sur la meilleure manière d'accorder offre et demande sur un marché, avec des applications dans le don d'organes et l'éducation.

«Cette année le prix récompense un problème économique central: comment associer différents agents le mieux possible», a indiqué l'Académie royale suédoise des sciences.

Lloyd Shapley, 89 ans, professeur à l'université de Californie à Los Angeles (UCLA), est un pionnier de la théorie des jeux. Celle-ci étudie mathématiquement la façon dont des acteurs prennent des décisions stratégiques pour servir leur intérêt propre et anticiper les réactions des autres, sans toujours y parvenir.

Vu son âge, il était considéré comme l'un des «nobélisables» qui risquaient d'être oubliés dans le palmarès, même si son champ de recherche n'est pas le plus populaire chez les chercheurs en sciences économiques.

Il a «utilisé ce qu'on appelle la théorie des jeux coopératifs pour étudier et comparer diverses méthodes» destinées à faire concorder offre et demande, a expliqué l'Académie royale suédoise des sciences. Et il est parti de l'exemple des mariages, donnant un algorithme qui permettrait (en théorie) de donner à chaque célibataire dans un groupe donné le meilleur conjoint.

Concrètement, l'une des applications est «l'affectation de nouveaux docteurs dans les hôpitaux, d'étudiants dans les écoles, des organes à transplanter avec les receveurs».

«Lloyd Shapley a su démontrer comment la conception spécifique d'une méthode (devant accorder offre et demande, NDLR) peut systématiquement bénéficier à l'une ou l'autre partie d'un marché», a-t-elle ajouté.

Après ces découvertes théoriques, Alvin Roth est passé aux applications pratiques.

Ce professeur à l'université de Harvard de 60 ans «a reconnu que les résultats théoriques de Shapley pouvaient élucider le fonctionnement pratique de marchés importants».

Pour les applications dans le don d'organes, il s'est servi de l'algorithme conçu par M. Shapley et un autre économiste et mathématicien américain aujourd'hui décédé, David Gale, «combiné à des modifications qui prennent en compte les circonstances spécifiques et les restrictions éthiques».

Ils succèdent à deux autres Américains, Thomas Sargent et Christopher Sims, récompensés en 2011 pour leurs travaux sur les causes et effets en macroéconomie.

La domination américaine sur ce prix a été confirmée, avec 17 Américains (dont deux Israélo-Américains) sur les 20 lauréats des dix dernières années.

Le «prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel» est doté de 8 milliards de couronnes suédoises (923.000 euros).

Il clôt une saison qui a récompensé pour la Médecine un Britannique et un Japonais, pour la Physique un Français et un Américain, pour la Chimie deux Américains, pour la Littérature un Chinois, et pour la Paix l'Union européenne.

Ces lauréats doivent recevoir leur prix lors d'une cérémonie le 10 décembre, jour anniversaire de la mort de l'industriel suédois Alfred Nobel.

Trente ans les séparent

Près de trente ans les séparent, mais leur intérêt commun pour l'étude du fonctionnement des marchés sans prix leur a valu d'être consacrés lundi par le Nobel d'économie.

> LLOYD SHAPLEY

Âgé de 89 ans, il passait jusque-là pour être un oublié du comité Nobel. Ses deux fils ont publié un communiqué indiquant que leur père était «extrêmement reconnaissant de voir l'oeuvre de sa vie reconnue» par cette récompense.

Professeur émérite de l'Université de Californie à Los Angeles (UCLA), Lloyd Shapley fut un jour qualifié de «plus grand théoricien des jeux de tous les temps» par l'Israélo-Américain Robert Aumann, qui reçu le Nobel d'économie avant lui (en 2005) pour des travaux dans le même domaine.

La théorie des jeux est une discipline dont le but est de modéliser des situations où interagissent plusieurs participants afin de permettre à chacun de prendre, pour lui-même, les meilleures décisions en tenant compte de ce qu'il prévoit que feront les autres.

Mathématicien de formation - il obtient son doctorat à Princeton en 1953 après avoir participé à la deuxième guerre mondiale - M. Shapley se fait rapidement un nom dans ce domaine en donnant le sien à l'une de ses trouvailles: un moyen d'atteindre certains objectifs en choisissant de coopérer ou d'entrer en concurrence.

Cela le conduit à étudier les comportements des participants à des marchés équilibrés où ils sont en concurrence pour quelque chose qui n'a pas de prix, comme par exemple une spécialisation universitaire ou un conjoint.

Il met au point avec un autre mathématicien et économiste, David Gale, aujourd'hui décédé, un algorithme dit de Gale-Shapley, permettant de satisfaire un groupe d'individus en concurrence pour quelque chose de semblable.

Pour l'économiste Alex Tabarrok, son application à la recherche d'un conjoint «est plutôt fantaisiste», encore que les sites de rencontres «auraient clairement intérêt à adopter cette idée», mais Gale-Shapley a fait ses preuves lorsqu'il s'agit de satisfaire un maximum d'étudiants en compétition pour différentes spécialisations universitaires.

> ALVIN ROTH

Né en 1951 et barbu comme son aîné, Alvin Roth s'est employé à trouver de nouveaux débouchés aux résultats de la théorie des jeux et aux travaux de Shapley et Gale, dont il reconnaît le caractère pionnier.

Professeur à Harvard, M. Roth n'avait pas prévu de devenir économiste. Il avait commencé par étudier les mathématiques appliquées à la prise de décision dans une organisation comme l'entreprise.

Cependant, ainsi qu'il l'a expliqué lundi au comité Nobel, ce qui l'intéressait, «essayer de comprendre les choses et de faire en sorte qu'elles fonctionnent mieux ..., impliquait des gens, et cela signifiait l'économie».

Cela l'a amené, dit-il, à étudier l'architecture de marché, afin de «comprendre les données des marchés suffisamment en détail pour que nous puissions contribuer à les réparer lorsqu'ils sont cassés».

Sa réalisation la plus populaire est l'application de son approche à un «marché» réputé compliqué: celui des reins disponibles pour une greffe.

Un candidat à la greffe a souvent un membre de sa famille qui accepte d'être donneur, mais dont le groupe sanguin n'est pas compatible. Le travail de M. Roth a permis d'organiser des échanges, aujourd'hui fréquents, dans lesquels des destinataires d'un rein non compatible participent à une sorte de Bourse aux reins permettant à tous de repartir avec un rein, de quelqu'un qu'ils ne connaissent pas.