À la société par actions qui valorise la propriété individuelle, le diktat du capital et la dimension primaire de l'homme, au socialisme d'État ou au communisme qui transforment les citoyens en sujets de l'État, il faut opposer une voie mitoyenne qui responsabilise le citoyen dans son travail et dans la vie démocratique.

Cette voie, c'est la coopérative, la mutualité et les autres facettes de l'économie sociale, plaide Claude Béland dans son fort bel essai, L'évolution du coopératisme dans le monde et au Québec, qui paraît alors que se déroule à Québec le Sommet international des coopératives.

«Le pouvoir économique domine à un tel point qu'on ne peut honnêtement déclarer que nous vivons actuellement dans des sociétés, mais que nous vivons plutôt dans des économies, écrit-il. Pire, nous ne pouvons pas dire sérieusement que nous vivons dans des régimes démocratiques puisque désormais la volonté majoritaire des populations ne fixe pas les règles du jeu de la vie communautaire.»

Ce constat fait, l'essayiste propose rien de moins que de changer ce monde. Le coopérativisme lui paraît une voie sûre pour piloter ce changement.

Mais qu'est-ce que c'est au juste? C'est une forme démocratique de collaboration poursuivant directement des fins économiques et indirectement des fins sociales.

Sa forme légale, la coopérative, se distingue de la société par actions ou anonyme, en ce sens qu'elle est une association libre de personnes (et non de capital) possédant une entreprise qu'elles dirigent et contrôlent.

Au principe (pas toujours respecté) d'une action, un vote, la coop oppose celui d'une personne, un vote, personne étant entendu dans son sens physique, ce qui exclut la personne morale, une fiction juridique.

La coop ne fait en principe pas de profit. L'excédent, quand il existe, est un trop-perçu qui ira en partie gonfler la réserve de la coop et retournera en partie à ses membres sous forme de ristourne. La réserve n'est jamais redistribuée et la coop ne peut faire, en principe, l'objet d'une offre publique d'achat.

Sa pérennité, lorsqu'elle est bien administrée, est donc mieux assurée que celle de l'entreprise capitaliste.

L'essai plonge dans l'Histoire pour faire ressortir les origines du mouvement coopératif, depuis les socialistes utopiques Fourrier et Owen, en passant par les pionniers de Rochdale jusqu'à la naissance des grandes coopératives agricoles et du Mouvement Desjardins au Québec.

 

Contrôler les excès

Toujours, soutient l'auteur, le mouvement coopératif et, plus largement, l'économie sociale se veulent un temporisateur des excès du capitalisme et un agent de changement.

M. Béland résume d'une étonnante mais éclairante façon l'histoire économique des Canadiens français depuis la Conquête. Il en déduit que le coopérativisme est une composante essentielle du modèle québécois «qui mise sur l'associationnisme citoyen modéré (par opposition à un collectif radical, soit le socialisme ou le communisme) dont l'État est partenaire».

De cette vision découlent des valeurs sociales qui s'opposent à l'égoïsme et à la cupidité individuels ou collectifs. Dès lors, juge l'essayiste, l'entrepreneuriat devient pus intéressant «lorsqu'il s'inscrit dans la plus large perspective d'un entrepreneuriat socialement et politiquement rentable et rassurant pour la collectivité».

La propriété coopérative favorise cette voie. M. Béland croit qu'il est possible de l'étendre aux services de santé, voire au travail manufacturier. Au triste échec de Tricofil dans le domaine, il oppose la réussite de BOISACO, sur la Haute-Côte-Nord.

Le coopérativisme est très mal vu par le capital, décidé à imposer son modèle économique et sa forme de propriété. Voilà pourquoi l'auteur lance en conclusion un appel à la vigilance en se portant à la défense de l'orthodoxie coopérative, malmenée dans la démutualisation de certaines compagnies d'assurances et par une nouvelle loi canadienne.

Les principes à sauvegarder sont les suivants: membre usager, contrôle démocratique, partage des excédents opérationnels en proportion des opérations des membres avec la coop, intérêt limité sur le capital, impartageabilité des réserves et inaliénabilité de la coop.

Cela peut se résumer par les quatre P: propriété, participation, partage, patrimoine. «Ces quatre P contribuent à établir les différences exclusives entre les coopératives et les sociétés par actions», résume l'auteur.

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Claude Béland. L'évolution du coopératisme dans le monde et au Québec. Fides, 2012, 314 pages.

Claude Béland. L'évolution du coopératisme dans le monde et au Québec. Fides, 2012, 314 pages.