Il était de bon ton, il y a une trentaine d'années, de parler de l'inexorable déclin de l'empire américain. Cela a même inspiré le titre d'un très grand film.

L'implosion du bloc soviétique allait toutefois fournir un puissant démenti à cette prévision en offrant plutôt aux États-Unis la possibilité d'exercer une hégémonie économique et militaire sans précédent dans l'Histoire.

Dans Une autre histoire de la puissance américaine, Philip Golub s'attarde à montrer qu'une élite intellectuelle et politique aspirait à cette destinée pour les États-Unis, dès la fin du XIXe siècle. À la pax britannica du moment, elle rêvait d'une pax americana qu'elle s'attelait déjà à édifier.

«À l'instar des États impériaux européens, l'État américain fut constamment en guerre au XIXe siècle alors qu'il étendait sa souveraineté et sa portée territoriales, écrit Golub. Le projet de peuplement conduisit à une guerre de peuplement qui allait durer un siècle contre les peuples indigènes et à une guerre de conquête interétatique, celle du Mexique (1846-1848).»

Les États-Unis ont multiplié les invasions et les coups d'État sanglants, une fois la puissance britannique déchue. Les guerres en Corée, au Vietnam, le renversement des gouvernements d'Iran, d'Indonésie et du Chili pour ne nommer que ceux-là ont fait des millions de morts. Ils visaient à assurer l'hégémonie américaine et à stabiliser des approvisionnements en ressources ou des marchés d'exportation.

Les États-Unis, rappelle Golub, n'ont jamais hésité à compromettre des accords internationaux, si cela allait servir leurs intérêts économiques. «Les décisions monétaires unilatérales prises dans les années 70 et 80 eurent pour résultat de transférer au reste du monde le coût des déséquilibres macroéconomiques et financiers américains en manipulant le taux de change du dollar.»

En 1971, Washington avait interrompu la convertibilité du dollar en or. En 1984, l'accord du Plazza avait abouti à une brutale réévaluation du yen et du mark. On pourrait ajouter que la politique monétaire actuelle de la Réserve fédérale affaiblit le billet vert et allège la dette colossale des États-Unis auprès de leurs créanciers étrangers.

L'essayiste fait ressortir que cette volonté hégémonique a aussi façonné la pensée politique de la classe intellectuelle.

Les divergences au sein de celle-ci n'ont jamais remis en cause la prémisse de la destinée hégémonique, ni la nécessité impérieuse de travailler à sa pérennité. C'est plutôt sur le comment qu'elles se manifestent: dans quelle mesure doit-on composer avec les autres puissances au sein d'organismes internationaux comme les Nations unies ou agir pour les affaiblir afin de mieux affermir et étendre la pax americana.

Ces divergences n'en sont pas moins acrimonieuses. Elles se manifestent parfois dans un bras de fer entre la Maison-Blanche et le Pentagone, parfois au sein du Congrès où les militaires disposent de puissants appuis.

En fait foi le débat entourant la préparation et le déclenchement de l'invasion de l'Irak, en 2003.

Pour les ultranationalistes, c'était l'occasion de tirer parti d'une suprématie. Pour les autres, de gaspiller un capital politique qui s'était gonflé par suite des attentats terroristes du 11 septembre 2001.

On sait maintenant que cette guerre a fait beaucoup de mal aux intérêts américains, affaiblis de surcroît par la débâcle financière de 2007-2008 dont les stigmates sont toujours bien visibles dans leur zone d'influence.

En revanche, certaines régions du monde ont été moins touchées et en ont profité pour tisser des relations économiques en dehors du parapluie américain. Ces relations vont d'autant plus se développer que le modèle de capitalisme de marché, cher aux intérêts financiers américains et qui progressait grâce à l'Organisation mondiale du commerce, est désormais en concurrence avec des capitalismes dirigés ou à tout le moins administrés.

Golub les voit en Amérique du Sud et en Asie. Il souligne cependant qu'aucune puissance ne sera en mesure avant longtemps de se substituer à l'hégémonie américaine comme les États-Unis ont remplacé la Grande-Bretagne au siècle dernier.

Avec le temps, croit-il aussi, «l'émergence ou la réémergence économique récente des régions du monde auparavant périphériques va dans le sens d'un retour aux conditions de relative égalité internationale qui prévalait avant 1800.»

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Philip Golub. Une autre histoire de la puissance américaine. Seuil. 282 pages.