Il y a 35 ans, il fallait être précurseur pas à peu près pour exploiter un spa. Le mot ne faisait même pas partie du vocabulaire des Québécois en 1977. On parlait plutôt de centres de santé ou d'instituts de beauté. Aujourd'hui, chaque hôtel ou presque a son spa. On en trouve même dans des tours de bureaux ou sur un bateau en rade dans le Vieux-Port.

Comment rester la référence quand la concurrence s'intensifie? C'est le défi auquel fait face Jocelyna Dubuc (aucun lien de parenté avec l'auteur), présidente-directrice générale de Spa Eastman, que nous avons rencontrée à son établissement montréalais au 16e étage d'un édifice de bureaux de la rue Sherbrooke Ouest à Montréal.

«Comprenez qu'on est très tout seul de notre gang, dit Mme Dubuc, âgée de 65 ans. On est ce qu'on appelle un spa de destination. Il n'y en a pas d'autres au Québec», dit la fondatrice de l'Association québécoise Spa Relais Santé qui a permis de mieux encadrer l'industrie dès le début de son essor au Québec. Le Spa Eastman est en effet le seul établissement québécois affilié depuis 2000 au prestigieux regroupement Destination Spa Group, qui compte une vingtaine de membres en Amérique du Nord.

Si on va dans un spa pour se faire masser et pour relaxer, on va au Spa Eastman pour se ressourcer, selon sa propriétaire.

Situé sur le chemin des Diligences, face au mont Orford dans les Cantons-de-l'Est, le Spa Eastman est un domaine de 326 acres, offrant 46 chambres réparties dans 7 pavillons. Plus de 35 soins à l'heure sont proposés. Depuis 1996, Mme Dubuc possède aussi le Spa Aqua Cité, au centre-ville de Montréal, rebaptisé Spa Eastman Montréal. Le Spa Eastman et son antenne montréalaise emploient 130 personnes en haute saison.

Le centre de ressourcement de l'Estrie est surtout une belle histoire de croissance organique, passant progressivement de 4 à 46 chambres en 35 ans au gré de rondes successives d'investissements. Sa PDG évalue à 7 millions les sommes investies depuis 10 ans.

Pour le 35e anniversaire de l'entreprise, en 2012, 2,5 millions ont été investis plus spécifiquement dans l'aménagement de chambres haut de gamme destinées à une clientèle internationale, et pour compléter la zone de balnéothérapie avec des circuits thérapeutiques pour les bras et les jambes.

Mange, prie, aime

Le parcours de la femme d'affaires, maintes fois récompensée, ressemble à s'y méprendre à celui d'Elizabeth Gilbert, l'auteure de Eat, Pray, Love, porté à l'écran en 2010 avec Julia Roberts dans le premier rôle.

«C'est en Inde où je me suis mise à rêver de créer un endroit où les gens viendraient se ressourcer et se mettre en forme. À ce moment-là, je n'avais pas de modèle et je n'étais même pas sûre comment appeler ça, cette bébitte-là», dit-elle aujourd'hui.

À 20 ans, titulaire d'un bac en histoire et géographie, Mme Dubuc est tombée sur le livre La cure de raisin de Johanna Brandt, un bouquin datant de 1927. Une révélation. «Découvrir qu'au bout de la fourchette, il y a du bien-être», dit-elle en entrevue. Un autre ouvrage - Sri Aurobindo ou l'aventure de la conscience, écrit par Satprem, 1962 - a fait découvrir à l'enseignante de formation le pouvoir de la pensée.

Après cette lecture, elle a mis le cap sur l'Inde où elle s'est retrouvée dans un ashram à méditer huit heures par jour. Elle y découvre aussi les bienfaits de la thermothérapie et de l'alimentation vivante.

Au lieu d'écrire un livre comme l'a fait Elizabeth Gilbert, Jocelyna Dubuc a choisi de créer de toutes pièces l'industrie des vacances santé. Ses pairs ont reconnu son rôle de pionnière en l'élisant au temple canadien de la renommée du tourisme en 2006.

En 1977, quand Jocelyna Dubuc a construit à partir de rien ce qui s'appelait alors le Centre de santé Eastman, le mot spa était pratiquement inconnu. Aujourd'hui, on estime à plus de 700 le nombre d'établissements au Québec. C'est beaucoup, à son goût. «Il y a en trop. Pour certains spas, c'est difficile», dit celle qui siège au conseil d'administration de la toute nouvelle Association québécoise des spas.

Elle déplore aussi que le consommateur soit mêlé entre le spa nordique, le spa d'hôtel et les centres de ressourcement et de bien-être comme le sien. Elle se console à l'idée que l'industrie du bien-être a encore de beaux jours devant elle compte tenu du vieillissement de la population.