On raconte dans les collèges et les universités que des grands personnages, de grands conflits ou des catastrophes naturelles, voire de grandes idéologies ont façonné l'Histoire et parfois même changé son cours.

Jean C. Beaudet propose plutôt que ce sont des entreprises qui ont avant tout transformé le monde depuis le XIXe siècle.

«C'est grâce au télégraphe de Siemens, au téléphone de Bell (...) aux voitures et aux camions de Peugeot, de Ford, de Citroën, de Toyota, que les idées de Montesquieu, de Voltaire, de Hegel (et de son successeur Marx) se sont répandues, écrit-il. Depuis Londres, Paris et Berlin, jusqu'au Cap de Bonne Espérance, jusqu'à la Terre de Feu, et jusqu'au Japon et en Corée.»

Dans son essai original, mais inégal «Curieuses histoires des entreprises Les 50 sociétés qui ont changé le monde», le philosophe Beaudet cherche à faire ressortir la contribution essentielle de l'entreprise au monde et à sa constante évolution. «Il y a comme un élément radical, dans les principes de l'industrialisation, qui a de la valeur, qui dépasse le niveau des cultures locales et qui atteint celui de la civilisation globalisante.»

On pourra, certes, faire quelques reproches aux choix de Beaudet. Pourquoi, par exemple, l'omission d'Apple, mais pas de Cisco, Dell, IBM, Hewitt-Packard ni Microsoft? Pourquoi l'absence de toute banque ou de grand détaillant? Il y en a certainement quelques-uns qui ont imposé de nouveaux standards qui ont changé le monde.

Reste que son choix se défend et est dépourvu de toute question d'ordre moral. C'est ce qui lui permet sans doute de retenir Coca-Cola. On comprend moins bien le choix de Kraft, toutefois.

Beaudet accorde beaucoup d'importance à la chimie et à la technologie.

Du premier ensemble, on retiendra Du Pont pour le nylon et le kevlar, Pfizer pour le Viagra, Bayer pour l'aspirine ou Dow pour la bakélite et le polystyrène.

Du second groupe, en plus des susmentionnées, il faut noter Bell dont les recherches ont servi de berceau à l'électronique, et General Electric, cette entreprise fondée par Thomas Edison, inventeur de l'ampoule électrique à qui ont doit aussi le bazooka.

Pour plusieurs des entreprises retenues, Beaudet a quelques anecdotes à raconter qui font ressortir que la vie des entreprises est souvent le fait d'une rencontre ou d'une opportunité bien saisie.

Ainsi en est-il de la pétrolière anglo-néerlandaise Shell. Deux Néerlandais qui rêvaient d'exploiter le sous-sol indonésien (alors colonie hollandaise) se lient avec deux Britanniques qui faisaient l'importation de coquillages depuis les lointaines colonies de l'empire.

Les bateaux des seconds auront vite servi à transporter l'or noir des Indes néerlandaises. L'union a été scellée par le nom et le logotype de l'entreprise.

Beaudet souligne aussi l'importance qu'a eu les moulins à tisser dans le déploiement de la chimie allemande. Bayer, BASF et Sanofis ont d'abord fait des recherches pour développer des colorants synthétiques, prisés des tisserands et des tailleurs.

Beaudet consacre aussi une fiche aux géants de l'aéronautique que sont Boeing, EADS (Airbus) et Lockheed-Martin. Il mentionne même que Honda développe aux États-Unis un jet d'affaires. Il ne souffle mot toutefois sur Bombardier qui a bien un peu changé le monde du transport aérien ou, à tout le moins, la façon de se déplacer sur sur la neige et l'eau!

En fait, le Canada est plutôt absent de cet essai, hormis peut-être qu'il a été le lieu de premières filiales de géants américains comme Ford.

En revanche, la Belgique a droit à une part hyperbolique. Peut-être est-ce le fait que l'éditeur soit une maison basée à Bruxelles...

Quoi qu'il en soit, cet essai a le mérite de faire ressortir l'apport incontournable des entreprises et des technologies à l'Histoire moderne.

«L'Entreprise, c'est le lieu de l'histoire où le vrai devient vie, où le rationnel et le réel coïncident pleinement (sous les modalités de l'efficace), où les choses sont ce qu'elles sont, conclut-il. La Technique s'oppose ainsi à la Culture, où les choses sont ce que les artistes rêvent qu'elles soient.»

Jean C. Beaudet. Curieuses histoires des entreprises. Les 50 sociétés qui ont changé le monde. Éditions Jourdan. Bruxelles Paris. 320 pages.