La Banque du Canada paraît de plus en plus tiraillée entre sa volonté de normaliser les taux d'intérêt, qu'elle juge trop faibles, et l'aggravation des risques qui pèsent sur l'économie mondiale et gênent désormais l'expansion du pays.

En reconduisant le taux directeur, fixé à 1% depuis septembre 2010, les autorités monétaires ont réitéré leur énoncé du 17 avril, alors étonnant selon lequel «il se peut qu'une réduction modeste de la détente monétaire considérable actuellement en place au Canada devienne appropriée».

Elles y apportent cependant un gros bémol. Le communiqué d'hier précise que cela pourrait arriver «dans la mesure où l'expansion économique se poursuit et l'offre excédentaire au sein de l'économie se résorbe graduellement».

«La Banque croit encore que le prochain changement dans sa politique monétaire sera une hausse des taux directeurs, souligne Benoit P. Durocher, économiste principal chez Desjardins. Cela devrait freiner les anticipations de certains investisseurs qui tablaient jusqu'à tout récemment sur une réduction du taux cible de financement à un jour.»

L'interprétation à donner à la nouvelle condition préalable à la normalisation des taux divise cependant les prévisionnistes.

Pour les uns, une hausse reste dans les cartes avant la fin de l'année «pour apaiser les ardeurs du marché immobilier au Canada», comme le prévoit Marie-Claude Guillotte, économiste chez Valeurs mobilières Banque Laurentienne. La valeur des permis résidentiels de bâtir a eu beau diminuer de nouveau en avril, selon Statistique Canada, les mises en chantier restent en forte progression, surtout dans le segment plus spéculatif des condos de luxe.

Pour les autres, si le biais demeure à la hausse, le statu quo est à demeure pour l'avenir prévisible. «Son ton moins ferme corrobore l'idée que des hausses de taux sont peu probables à court ou moyen terme, estiment Paul-André Pinsonnault et Krishen Rangasamy, de la Banque Nationale. Il y a tout simplement trop de risques pour la croissance canadienne pour le moment, tant d'origine intérieure qu'étrangère.»

Certes, la Banque observe un maintien de la confiance des ménages et des entreprises tandis que les conditions financières au pays «restent très expansionnistes». Cela milite pour moins d'assouplissement monétaire.

Elle paraît en outre peu inquiétée par le fait que l'économie canadienne a crû de 1,9% au premier trimestre. En avril, elle avait parié sur une expansion de 2,5% pour évoquer une éventuelle augmentation du taux cible. À ses yeux, le dynamisme sous-jacent de l'économie est conforme à ses attentes. Son scénario prévoit une expansion annualisée de 2,5% au deuxième trimestre, cible réaliste aux yeux des uns, jovialiste aux yeux des autres.

«Toutefois, la composition de la croissance est moins équilibrée, reconnaît la Banque. En particulier, l'activité dans le secteur du logement a été plus vigoureuse qu'escompté, et les ménages continuent d'accroître le fardeau de leur dette.»

Elle remarque aussi que l'apport du commerce extérieur à la croissance restera faible «compte tenu de la demande étrangère modérée».

Le danger extérieur vient non seulement de l'aggravation de la crise européenne, mais aussi du ralentissement plus prononcé que prévu de l'activité économique dans les pays émergents. «Un mécanisme de transmission, la baisse des prix des exportations de biens de base canadiens, est déjà manifeste, fait remarquer Avery Shenfeld, économiste en chef chez CIBC. Cela fait plus qu'annuler les bienfaits d'un dollar canadien plus faible.»

Malgré la réaffirmation du désir de la Banque de relever le taux quand le contexte le permettra, la valeur du huard face au billet vert a d'ailleurs peu varié. Notre monnaie a perdu 4,7 cents d'équivalence depuis le 17 avril, en parallèle avec la baisse des prix des biens de base. Celui du baril de pétrole en particulier paraît bien installé sous la barre des 100$US.

Tout cela milite pour une inflation aux environs de 2%, en plein dans la cible de la Banque.