Comme le monde peut changer en moins de deux mois!

À la mi-avril, la crise de la dette publique européenne s'était quelque peu apaisée, la sortie de récession paraissait imminente, le taux de chômage américain baissait et les entreprises canadiennes s'étaient remises à embaucher, après six mois d'hésitations.

Voilà qui avait amené la Banque du Canada à manifester un optimisme prudent qui s'était exprimé ainsi dans l'annonce du 17 avril de la reconduction de son taux directeur à 1%: «Il se peut qu'une réduction modeste de la détente monétaire considérable actuellement en place au Canada devienne appropriée, de façon à atteindre la cible d'inflation de 2% à moyen terme», écrivait-elle.

Le gouverneur Mark Carney avait aussi exprimé à maintes reprises ses inquiétudes devant l'endettement record des ménages canadiens, poussés à emprunter par un crédit trop bon marché.

Sur le coup, les spéculateurs qui avaient parié depuis l'automne sur une baisse de taux ont refait leurs positions et tablé sur deux hausses du taux cible de financement à un jour avant la fin de l'année, la première devant survenir dès l'été.

La Banque s'était néanmoins armée de prudence et avait nuancé cette avancée avec grand soin. «Le moment et le degré de toute réduction seront évalués avec soin, en fonction de l'évolution économique à l'échelle nationale et internationale.»

Vendredi, ces mêmes spéculateurs évaluaient à 75% la probabilité que la Banque abaisse son taux avant la fin de l'année.

L'économie canadienne continue de se comporter à peu près comme la Banque l'avait envisagé. Certes, la croissance du premier trimestre a été plus faible que les 2,5% qu'elle avait prévu. Mais une lecture attentive des données publiées vendredi montre que sans les reculs de l'exploitation pétrolière et gazière pour des raisons d'entretien, la croissance aurait été de 2,4% au lieu de 1,9%.

Et en avril, l'embauche a encore été robuste tout comme la construction résidentielle qui anime les craintes de surchauffe dans le segment du condo de luxe.

L'inflation est demeurée légèrement au-dessus de sa projection, ce qui justifie difficilement d'assouplir davantage une politique monétaire qui l'est déjà peut-être trop.

Bref, à l'interne, son scénario se déroule à peu près comme projeté.

C'est encore une fois les aléas de la conjoncture mondiale qui ont déjoué la Banque. En avril, elle voyait les choses ainsi: «L'Europe émergera lentement de la récession au deuxième semestre de 2012, même si les risques entourant ces perspectives demeurent élevés. Le profil de croissance de l'économie américaine est légèrement plus solide.»

Qui aurait pu prédire l'impasse électorale grecque qui exacerbe la crise de la dette publique européenne au point de menacer d'éclatement la zone euro? Que 0,3% de la population du monde assurant 0,4% de l'activité économique de la planète fasse vaciller le capitalisme mondial?

Voilà de quoi dicter la prudence et réitérer à tout le moins que «l'évolution économique à l'échelle nationale et internationale» milite pour un statu quo plus long que souhaité ou souhaitable. Mais pas pour une baisse des taux alors que le système financier canadien est sain et que la dette canadienne reste parmi les plus attrayantes du monde

Et puis, ne venons-nous pas de constater combien le monde peut changer en moins de deux mois?