Chaque semaine, nous vous proposons un extrait d'un «cas pédagogique» du Centre de cas de HEC Montréal: la description en contexte d'une situation réelle en lien avec des interrogations et une réflexion sur certains aspects de la gestion.

Habitations Habitables inc. (nom fictif) est une entreprise qui construit des maisons modulaires. L'usine compte quelque 400 employés, dont environ 325 sont affectés à la production dans l'usine. Le chiffre d'affaires de l'entreprise s'élève à plus de 40 millions de dollars. La rapidité et la qualité de construction sont les marques de commerce de l'entreprise.

La rémunération des employés de production est composée d'un salaire de base auquel s'ajoute une prime au rendement dont le montant est revu annuellement. Ce programme a été instauré il y a quatre ans. Il a été adopté pour récompenser les efforts des employés dont la compétence, le rendement et la productivité au travail contribuent davantage à l'atteinte des objectifs de l'entreprise.

Les primes peuvent être considérables et représenter un ajout de 20% au salaire de base. Les employés accordent donc beaucoup d'importance au programme de primes au rendement et l'entreprise tient à ce que ce programme soit aussi juste et équitable que possible et qu'il soit ainsi perçu par les employés.

Pour évaluer le rendement des employés, l'entreprise applique une échelle d'évaluation mesurant la productivité et l'efficacité des employés selon plusieurs critères. Le programme est revu annuellement. La définition et l'interprétation des critères d'évaluation ont été précisées et l'accent a été mis sur la formation des chefs d'équipe et des contremaîtres quant à l'utilisation des grilles d'évaluation.

L'évaluation

Le directeur des ressources humaines coordonne et facilite l'application du programme. C'est lui qui amorce le processus d'évaluation. L'employé y participe au départ en remplissant un formulaire d'autoévaluation. Celle-ci est utilisée à titre indicatif par les supérieurs qui font l'évaluation proprement dite.

Les chefs d'équipe sont les superviseurs de premier niveau. Ils sont responsables de préparer le rapport d'évaluation du rendement. Comme les employés travaillent généralement au sein de plusieurs équipes différentes, ils sont évalués par plus d'un chef d'équipe. C'est pourquoi ces derniers doivent se consulter et s'entendre sur une évaluation commune du rendement de l'employé.

Le contremaître, qui représente le deuxième niveau de supervision, valide ensuite le contenu du rapport. Dans le cas d'un désaccord irréconciliable entre les chefs d'équipe et le contremaître, le directeur de la production (le niveau suivant de supervision dans la hiérarchie) est appelé à trancher la question.

Finalement, le directeur des ressources humaines intervient de nouveau pour vérifier la qualité du rapport. Il est également présent lors de la remise du rapport à l'employé, par un des chefs d'équipe. L'entrevue d'évaluation du rendement se déroule dans un cadre d'information et de persuasion. Le rôle de l'employé au cours de cette rencontre se limite à prendre connaissance de son rapport d'évaluation et du montant de la prime. Dans un deuxième temps, le chef d'équipe présent félicite l'employé ou l'encourage à améliorer sa performance.

Un programme générateur de conflits et de tensions

Les modalités d'application du programme génèrent plusieurs insatisfactions chez les employés. Leur mécontentement prend des formes variées: plainte formelle, concurrence ou jalousie entre les employés, critique de l'organisation, baisse de moral, de motivation et de productivité, voire boycottage de certaines tâches.

Les frustrations des employés face au programme de primes au rendement se déclinent en quatre sources. Premièrement, les employés qui remplissent le formulaire d'autoévaluation ont l'impression que celui-ci n'est pas pris en compte. L'employé ne perçoit pas cette démarche comme une occasion significative de faire valoir son point de vue avant que son rapport d'évaluation ne lui soit communiqué.

Une deuxième source de frustration est la divergence dans les évaluations, attribuable au nombre parfois élevé d'évaluateurs. En effet, l'équipe de superviseurs est composée de 12 personnes ayant chacune leur propre perception de la situation: neuf chefs d'équipe, deux contremaîtres et un directeur de la production.

Ces dissensions peuvent entraîner du ressentiment entre les chefs d'équipe et les contremaîtres et ainsi envenimer le climat de travail. Même si le directeur de la production peut intervenir pour arbitrer les différends, un tel arbitrage mène nécessairement à des solutions où il y a des gagnants et des perdants, ce qui peut encore nuire aux relations de travail.

Une troisième source de frustration est qu'il n'existe aucune procédure permettant aux employés de contester le contenu de leur évaluation. Les employés ont l'impression que tout est décidé d'avance et que, peu importe ce qui pourrait être dit ou fait, la décision rendue est finale et le contenu du rapport, immuable.

Pas de contrôle

Finalement, les employés dénoncent l'absence d'un mécanisme de suivi en cours d'année. Après avoir été remis à l'employé, le rapport ne fait l'objet d'aucun contrôle subséquent malgré l'existence d'une supervision quotidienne des employés. Aucune procédure n'est prévue pour revoir le rendement de l'employé ou encore pour vérifier et noter son progrès relativement aux lacunes soulevées dans le rapport annuel précédent.

Au bout du compte, alors que les objectifs du programme de primes au rendement étaient d'améliorer la productivité, la motivation et l'engagement des employés, c'est plutôt l'inverse qui se produit...

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DES INTERROGATIONS

> Quelles sont les pratiques clés à ne pas perdre de vue dans la mise en oeuvre d'un programme de primes au rendement?

> Comment faire en sorte que l'évaluation du rendement des employés soit la plus juste et équitable possible?

> Comment désamorcer les conflits générés par le programme?

.... ET QUELQUES ÉLÉMENTS DE RÉPONSE

> L'autoévaluation devrait être remplacée par une rencontre de coaching avec les employés. On peut désamorcer beaucoup de conflits en formulant des attentes claires et précises.

> Le formulaire doit être facile à remplir et permettre une compilation objective des résultats. De plus, les critères doivent être les plus clairs possible. Moins il y a de place à la subjectivité, moins il y aura de conflits reliés à l'interprétation des critères.

> La synthèse des évaluations ne devrait pas se faire par consensus. C'est un processus qui peut être long, qui peut ouvrir la voie à des jeux politiques et qui cristallisera les prises de décisions. Comment modifier l'évaluation sans froisser les évaluateurs qui ont «négocié» un consensus? Mieux vaut compiler objectivement les résultats.

> Un processus de révision des plaintes misant sur le dialogue devrait être intégré pour gérer les désaccords relatifs aux évaluations de rendement.

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Jean Poitras (jean.poitras@hec.ca) est professeur à HEC Montréal. Laurent Thibault est médiateur et consultant. Solange Pronovost est médiatrice et chargée de cours à HEC Montréal. La version intégrale de ce cas, intitulée «Habitations Habitables inc.» est disponible à l'adresse suivante: https://www2.hec.ca/centredecas