James Dyson sait comment charmer un Québécois. Dès les premières minutes de notre rencontre, l'homme aux cheveux argentés porte aux nues Joseph-Armand Bombardier.

«Vous saviez qu'il fabriquait tout lui-même, jusqu'aux machines de moulage», s'émerveille le célèbre inventeur britannique, étonnant de candeur, dans son quartier général dans le sud-ouest de l'Angleterre.

Sa porte est ouverte sur une immense salle dont le plafond métallique rappelle une aérogare. C'est dans ce labo, où fourmillent 800 ingénieurs en jeans et t-shirts, que ses inventions décollent.

Comme pour J.-A. Bombardier, l'empire de James Dyson repose sur une invention-clé: l'aspirateur sans sac.

Une bouffée d'inspiration

La légende commence en 1979, dans le cabanon froid de sa cour. Jour après jour, l'ingénieur autodidacte tente de développer un aspirateur débarrassé des «petits sacs malodorants» et inefficaces. Cinq ans et 5127 prototypes plus tard, le Dual Cyclone est né.

Mais James Dyson ne se doutait pas que le plus dur restait à faire. Les grands fabricants d'appareils ménagers refusent d'acheter sa technologie cyclonique, qui sépare la poussière de l'air grâce à une force centrifuge. Le marché des sacs d'aspirateurs est trop lucratif.

Puisque personne n'en veut, il décide de le produire lui-même. À l'aide de ses revenus d'un contrat de licence au Japon, il fonde sa première usine en 1993.

Près de 20 ans plus tard, la marque Dyson est devenue un symbole d'innovation, de design ultraléché et de prestige. Le leader du marché canadien (35,3%) a réalisé un chiffre d'affaires international de 1,6 milliard de dollars en 2011. Pas moins de 10% sont réinvestis dans la recherche et le développement.

Pas mal pour un «patenteux» qui n'a jamais écrit un plan d'affaires.

«Notre technologie règle des problèmes», dit-il en guise d'explication de son succès. Il donne en exemple son puissant séchoir à mains Airblade dont il a eu l'idée en développant un autre produit. «Nous avons vu le potentiel et nous l'avons fabriqué sans analyser le marché», dit-il dans son accent sophistiqué.

Réinventer l'économie

Le savant milliardaire s'intéresse maintenant à un plus grand problème, celui de l'économie britannique, frappée par une seconde récession en trois ans. Son opinion est devenue parole d'évangile auprès du premier ministre David Cameron, qui a suivi ses directives en matière de fiscalité pour favoriser la recherche et le développement.

Berceau de grandes inventions comme la machine à vapeur et l'internet, la Grande-Bretagne a besoin d'un nouveau boom industriel, plaide-t-il.

Depuis 15 ans, le secteur manufacturier a fondu de moitié et ne représente plus que 10% du PIB. L'émergence du milieu des finances, déréglementé par Margaret Thatcher, a imposé une culture de «court-termisme» selon James Dyson, qui jure de ne jamais entrer en Bourse.

Ainsi, des grands projets d'infrastructures, comme de nouvelles centrales nucléaires, ont été mis sur la glace. «Il faut se remettre à bâtir. Cela enverrait un message clair aux universités et au secteur privé», dit James Dyson, qui fait remarquer que 2,5% des étudiants britanniques se spécialisent en ingénierie, contre 40% à Singapour.

Pourtant, il a lui-même déménagé ses chaînes d'assemblage en Asie il y a 10 ans, seul péché au portrait du mécène de l'innovation britannique.

«Il n'y a plus de manufacturiers en Angleterre, se défend-il. Je devais importer toutes mes pièces d'Asie. Il fallait donc s'implanter là-bas pour maintenir notre qualité.»

Maintenant que «Dyson» est en passe de devenir synonyme d'«aspirateur» dans le dictionnaire anglais, n'a-t-il pas envie de s'asseoir sur ses lauriers et de passer plus de temps avec ses petits-enfants? Il rit.

«J'ai passé toutes ces années à fabriquer des prototypes et à échouer jour après jour. C'est ce que j'aime faire», dit-il avant de retourner «en bas» pour réexaminer ses inventions qui n'ont pas fonctionné... encore.