Après s'être fait livrer du St-Hubert, et avoir siroté son Veuve Cliquot, Raoul a éternué dans un Kleenex, avant d'enfiler ses Adidas pour participer au Marathon de Montréal, renommé (hé oui) Marathon Oasis de Montréal. Au troisième kilomètre, tout essoufflé, Raoul a pensé: j'aurais dû prendre mon Harley...

Les grandes marques sont autant d'images qui, à la limite, permettent même l'économie de mots. Dans la foulée de l'affaire Oasis/Olivia's Oasis, La Presse a voulu en savoir un peu plus sur ces combats aux règles complexes, qui se déroulent la plupart du temps dans une arène ignorée du grand public. Jusqu'où les entreprises peuvent-elles aller pour défendre leur marque? Faut-il, par précaution, tirer sur tout ce qui bouge?

«On peut défendre une marque de commerce et le caractère distinctif d'une marque de façon très agressive, de façon très très agressive, ou de façon très très très agressive», signale Me François Grenier, du cabinet Robic, spécialisé en droit de la propriété intellectuelle.

La loi permet l'agressivité. Me Grenier est cependant d'avis que la donne a sensiblement changé en 2006, avec le jugement que la Cour suprême a rendu dans l'affaire qui opposait le champagne Veuve Cliquot aux boutiques de vêtements Cliquot. La Veuve trouvait que les boutiques se servaient de sa notoriété, et en prenait ombrage. Mais finalement, elle a perdu. Il faut au moins une possibilité de confusion, a tranché la Cour suprême. Me Grenier pense que ce jugement pourrait diminuer l'agressivité de certaines entreprises. Mais justement, est-ce l'entreprise, ou l'avocat qui décide d'y aller fort?

«C'est le client qui décide. L'avocat soumet, il dit: voici l'environnement, voici ce qui peut arriver avec ça, c'est à toi de décider.» C'est du cas par cas, tout dépend des dossiers. L'entreprise se doit d'être vigilante, car elle pourrait se le faire reprocher si l'affaire se rend en cour. «Si tu laisses passer celle-là, ne viens pas te plaindre après», illustre Me Grenier.

«Le droit des marques de commerce a été développé par les grosses entreprises, signale Me Normand Painchaud, avocat en litiges, qui a défendu Deborah Kudzman, fondatrice d'Olivia's Oasis. Si une entreprise n'est pas dynamique à défendre sa marque, elle peut se le faire reprocher. C'est une des perversions, cela devient une obligation. Dans le cas de ma cliente, Lassonde est allée dans la voie la plus extrême, en la poursuivant alors qu'elle avait un produit avec un nom commun, et sans lien avec le sien. Avec un nom inventé, on pourrait comprendre.»

Agent de marque et avocat en droit des affaires, Alain P. Lecours ne commente pas l'affaire Oasis, mais il soutient que certaines entreprises n'hésitent pas à employer l'intimidation dans l'arsenal des moyens choisis pour protéger leurs marques.

«Une entreprise peut savoir que ses chances devant les tribunaux ne sont pas élevées, mais elle va utiliser la menace d'un recours ou un recours lui-même afin de tenter de protéger sa marque de la dilution», avance-t-il.

Selon Me Lecours, «dans un monde modelé par la mondialisation des marchés et dominé par les communications, la marque de commerce devient un actif de grande valeur. Elle symbolise le prestige de l'entreprise et sert à l'identifier. La marque de commerce est son véhicule promotionnel et devient ainsi une garantie de qualité de ses produits et services.»

Même si sa marque n'est pas distinctive et qu'elle ne peut prétendre à l'exclusivité, une entreprise n'a pas avantage à ce qu'elle soit déclinée à toutes les sauces, ajoute l'avocat. Elle peut donc tenter «d'étirer» la loi pour limiter les utilisations de sa marque.

D'après Me Lecours, très peu de disputes se rendent jusqu'à une audition devant les tribunaux. «D'après mon expérience, le litige se règle après l'envoi d'une mise en demeure 9 fois sur 10», dit-il.