Chaque semaine, nous vous proposons un extrait d'un «cas pédagogique» du Centre de cas de HEC Montréal: la description en contexte d'une situation réelle d'entreprise qui suscite des interrogations et une réflexion sur certains aspects de la gestion.  

Les entreprises d'électricité, tant canadiennes qu'internationales, doivent définir une approche rigoureuse pour faciliter la prise de décision sur la façon d'acquérir de l'énergie.

Dans le contexte canadien, deux éléments sont clairs: d'abord, il faut pouvoir avoir accès à davantage d'énergie. Ici, ce sont 10 térawattheures supplémentaires qui sont considérés afin de satisfaire l'augmentation de la demande et d'assurer la fiabilité future (1 TWh = 1 milliard de kWh. Dix TWh couvrent approximativement la demande annuelle de deux millions d'individus).

Ensuite, compte tenu de l'importance actuelle des considérations sociales et environnementales d'un développement durable, cette énergie doit être non seulement acceptable au moment de sa production, mais également pour l'ensemble de son «cycle de vie».

Il faut prendre en considération les différents impacts de la production de chaque mégawattheure (MWh) depuis l'extraction des ressources à la mise en place des lieux de production (et des réservoirs dans le cas des barrages hydroélectriques), en passant par la production et l'utilisation de lignes de transmission et de distribution, jusqu'à la gestion des déchets et des sites en fin de vie. Des impacts environnementaux, mais aussi économiques et sociaux, surviennent tout au long de ce cycle.

Huit options

Dans le contexte canadien, huit options d'approvisionnement en électricité sont envisageables: celles dont la principale source d'énergie est le mouvement (éolien, hydro avec réservoirs, hydro «au fil de l'eau») et d'autres pour lesquelles c'est la chaleur (solaire, biomasse, gaz naturel, charbon, nucléaire).

Ces différentes options d'approvisionnement varient selon qu'elles permettent, ou non, de produire de l'électricité en temps voulu (dans le cas des énergies solaire et éolienne, la production est variable et incontrôlable); selon leur efficacité de conversion, c'est-à-dire le pourcentage d'énergie initiale qui est transformée en électricité (pour les technologies thermoélectriques, la perte de chaleur est la principale source d'inefficacité); selon leur durée de vie économique , c'est-à-dire la période durant laquelle les installations sont généralement utilisées avant d'avoir besoin d'une réfection majeure, etc.

Pour chaque option d'approvisionnement, on peut déterminer le coût unitaire moyen de l'électricité (CUME) déterminé par MWh. Ce CUME prend en compte les paramètres techniques (tels que les facteurs d'utilisation et l'efficacité) et les paramètres économiques (tels que le coût du capital) et intègre tous les coûts économiques directs impliqués dans les différentes options d'approvisionnement.

Si on utilisait uniquement des critères économiques, et si toutes les hypothèses étaient robustes, le CUME le plus faible indiquerait l'option d'approvisionnement à choisir (et donc, le charbon et le nucléaire plutôt que l'éolien et le solaire). Mais de nombreuses incertitudes pèsent sur ces données: par exemple, les coûts du combustible pourraient augmenter ou le taux d'actualisation utilisé dans l'évaluation pourrait être remis en question.

De surcroît, les externalités environnementales et sociales ajoutent de nouvelles dimensions au processus de prise de décision. Chaque option d'approvisionnement peut être décrite en termes d'indicateurs d'impact représentatifs, comme les émissions de GES, la réduction de l'ozone stratosphérique, le smog et l'acidification. Ainsi, si l'énergie solaire n'émet pas de GES sur le plan de la production d'énergie, la construction des panneaux solaires photovoltaïques implique des émissions de GES. C'est pourquoi les MWh des sources d'énergie renouvelables ne sont pas exempts d'émissions de GES, même si ces émissions restent bien inférieures à celles causées par le charbon ou le gaz naturel.

D'autres impacts environnementaux sont connus et pourraient être documentés, par exemple, l'utilisation des terres, le changement d'affectation des terres, les émissions de substances cancérigènes ou toxiques, etc.

Les impacts sociaux, quant à eux, introduisent une complexité supplémentaire: ils sont très dépendants du contexte, de sorte qu'il est pratiquement impossible d'obtenir des données génériques. Ces impacts renvoient notamment aux déplacements de population, aux perspectives d'emplois, aux accidents et décès reliés au travail, aux risques d'accidents technologiques, à l'équité régionale, etc.

Même quand ces impacts sont mesurés, il est inévitable pour les preneurs de décisions de pondérer les différentes catégories, pour pouvoir établir un classement des options. Qu'est-ce qui est plus important: assurer de faibles émissions de gaz à effet de serre, minimiser le territoire inondé, créer des emplois ou produire un kilowattheure au moindre coût?

Si les outils de la pensée cycle de vie permettent d'adopter une démarche plus rigoureuse, en intégrant les impacts plus éloignés des étapes de production ou de consommation d'électricité, la pondération entre les différentes catégories reste une question ouverte.

Quelques interrogations

Qui devraient choisir les critères à privilégier pour prendre des décisions sur l'approvisionnement en électricité? Comment l'analyse peut-elle être transparente?

Comment concilier des critères environnementaux et sociaux s'ils résultent en des coûts économiques plus grands?

Pierre-Olivier Pineau est professeur à HEC Montréal et membre du CIRAIG (Centre interuniversitaire de recherche sur le cycle de vie des produits, procédés et services).

Vous trouverez la version intégrale du cas «Un approvisionnement en électricité basé sur son cycle de vie: stratégie, décision et implantation» à l'adresse https://www2.hec.ca/centredecas du Centre de cas HEC Montréal.