Gregory Charles, qui enseigne, anime, chante et joue sur deux pianos à la fois, est aussi un homme d'affaires. Précisément, le président de 13 entreprises. Un tel titre permet à cet artiste ambitieux de gérer de A à Z ses festivals, spectacles, disques et campagnes marketing comme il l'entend. Portrait de l'autre Gregory Charles, patron d'entreprises en croissance, parfois prêt à franchir la ligne qui sépare le vrai du faux pour promouvoir ses produits.

Les lieux de travail de Gregory Charles ne se limitent pas à la scène ou aux studios d'enregistrement, de radio et de télévision. Lorsqu'il ne donne pas de spectacles, l'auteur-compositeur-interprète s'active dans ses bureaux du boulevard Richardson, à Montréal. Ses 15 employés permanents (200 temporaires en période de pointe) ont alors affaire au président de Groupe Musique Greg, du Mondial Choral, des Productions Carte blanche, des Éditions Marignan et autres maisons de production dans les domaines des arts de la scène, de l'événementiel et de l'enseignement.

Car Gregory Charles, c'est aussi 13 entreprises au chiffre d'affaires qui oscille entre 10 et 12 millions de dollars, au dire du patron. «La gestion, c'est plus récent dans ma vie, confie-t-il. Avant, le personnel et le projet, c'était moi, le gars enthousiaste, ambitieux et qui dort peu. Mais quand les affaires grandissent, ça prend des appuis. L'adage, seul, on va vite, et ensemble, on va loin, est vrai. Depuis 10 ans, ceux qui travaillent avec moi oeuvrent pour l'une ou l'autre de mes entreprises.»

«Il a un empire relativement important, note Mario Lefebvre, président de Flair Management Image Conseil qui le connaît depuis l'époque du spectacle Noir et blanc. Il n'y a pas beaucoup de gens dans le milieu artistique qui jouent au niveau de 10-12 millions. Et ces 13 entreprises, c'est justifiable lorsqu'on tient compte de la capacité de multidisciplinarité de Gregory. Je n'ai pas l'impression qu'il y a du dédoublement. Il y en a certaines qui fonctionnent plus que d'autres.»

Il y a d'abord eu les Productions Gregory (LPG) créée en 1990 quand Gregory Charles a commencé à se produire en spectacle. Puis, à la fin des années 90, Les Choeurs du Nouveau Monde (CNM), une boîte de production de spectacles. L'artiste de 43 ans est aussi le fondateur du Collège vocal qui regroupe une cinquantaine de chanteurs. Il dirige enfin la maison de disques NBW, depuis 2003, les Éditions Marignan (pour le catalogue de ses chansons, des livres tirés des conférences qu'il donne et qu'il n'a pas encore publiés), depuis 2005, et la maison de production télévisuelle Versus (pour la captation notamment des spectacles du Mondial Choral de Laval), depuis 2009. «Mon album I Think of You appartient à NBW, mais les chansons qu'il contient, aux Éditions Marignan», donne Gregory Charles en exemple.

Comme pour les animatrices et productrices Julie Snyder et Anne-Marie Losique, les champs d'expertise artistiques se sont multipliés avec les années et l'entreprise a grandi. «La masse salariale augmente de 7% ou 8% chaque année depuis 2005, malgré le fait qu'il y a eu un ralentissement économique depuis trois ans, indique Gregory Charles. Car les projets sont plus exigeants. Ça s'est beaucoup diversifié. Il y a six ans, on ne faisait que du disque et du spectacle.»

La position que Gregory Charles occupe en tant que créateur, président et directeur artistique du Mondial Choral, mis sur pied en 2005, est connue du grand public. Moins celle de dirigeant des Productions Carte blanche (CB) qui assure la gestion complète d'événements d'entreprise et qui génère 65% du chiffre d'affaires du regroupement des entreprises de l'artiste. «On s'occupe de tout, de l'accueil, de l'hébergement, du transport, du traiteur, de la recherche de conférenciers et d'artistes, énumère-t-il. On produit quatre gros événements corporatifs par an, environ 100 de divertissement et des mariages, d'Iqaluit à l'Afrique du Sud.

«Le corporatif sur scène, c'est moins de risques et un plus grand retour sur l'investissement, poursuit-il. Quand Gregory Charles, l'artiste, décide d'investir pour percer en France ou aux États-Unis, ça rapporte au compte-gouttes par rapport à l'investissement initial. Ça irait mieux si j'avais zéro ambition!»

Mais il n'est pas question pour Gregory Charles de ne pas développer sa carrière personnelle. L'artiste est aussi ambitieux que le patron! Une brochure qui fait la promotion de ses entreprises et services contient même de la pub sur des livres qu'il a écrits, qu'on dit populaires, mais qui ne sont en fait pas encore publiés! (voir encadré) «Il est ambitieux, note Jacques Aubé, vice-président exécutif et directeur général du promoteur evenko. Mais il donne l'impression de l'être excessivement. Il veut tellement que les gens embarquent dans ses idées. Il sait qu'il doit être enthousiaste pour qu'elles se réalisent. Mais il n'est pas ratoureux.»

Par ailleurs, le fait de penser à des projets personnels pourrait faire de lui un gestionnaire centré sur lui. Qui ne donne pas la priorité aux meilleurs projets dans l'intérêt de ses entreprises. «Gregory Charles a une très bonne capacité de comprendre les enjeux et de prendre la bonne décision, estime toutefois Mario Lefebvre, de Flair. Par contre, un artiste comme lui qui est un performer, animateur et communicateur ne doit pas tomber dans le piège d'entreprendre un nombre élevé de projets, mais doit plutôt s'attarder à bien les mener à terme. Les gens lui reprochaient parfois d'en faire trop. C'est le problème de beaucoup de gestionnaires: avoir trop de projets et ne pas les mettre dans le bon ordre. Souvent, un artiste laisse son âme d'artiste prendre le dessus. Alors qu'un homme d'affaires va dire: on le fait-tu? Combien ça va rapporter?»

À ce titre, Gregory Charles est-il plus artiste ou homme d'affaires? «C'est un équilibre entre les deux, juge Marc DeBlois, directeur du service de la vie communautaire, de la culture et des communications de Ville de Laval qui le côtoie notamment pour le Mondial Choral. Il comprend bien les enjeux financiers et monétaires quand on fait un projet.»

«C'est un artiste des années 2000, répond aussi Mario Lefebvre. Je pense à des gens comme Jay-Z. La plupart des artistes majeurs ont réussi à jumeler leur carrière d'artiste et d'homme d'affaires. Gregory Charles est un excellent exemple que ça peut fonctionner. Il est rigoureux, toujours à l'heure. Il a une façon très analytique de voir tout ce qu'il fait. Il a la capacité d'agir en homme d'affaires tout en gardant sa passion artistique.

«Gregory a une façon assez unique d'amalgamer l'information», des chiffres, dates, signature de contrats, à la cenne près, poursuit M. Lefebvre. Sans note ni ordinateur devant lui, sans préparation. C'est une qualité, car il n'est jamais pris au dépourvu ni à la merci de ses chiffres. Il a toute l'info dans sa tête pour aborder une situation. Daniel Lamarre, du Cirque du Soleil, et René Angélil sont aussi comme ça. Ils sont autosuffisants.»

Mais Gregory Charles a un jour dû reconnaître ses limites et accepter d'être conseillé, quand il a découvert que vendre l'artiste à des producteurs en tant qu'homme d'affaires n'allait pas toujours de soi. «C'est très difficile d'être une personnalité et d'aller au front, concède-t-il. Quand une vedette exige quelque chose, c'est un caprice. Pendant un bout de temps, mes relations professionnelles étaient irritées et irritables, car je l'étais. J'ai déjà dit à Mario Lefebvre que je n'aimerais pas dealer avec moi!»

Il semble que le problème ne se pose qu'avec ceux qui ne sont pas ses employés. «À l'interne, je le trouve vraiment humain, soutient Mélanie Reeves, directrice des opérations du Mondial Choral. Cela dit, c'est difficile de concilier beaucoup de chapeaux. Il y a une évolution dans sa gestion, car son entreprise s'est beaucoup développée.»

«Gregory est de mieux en mieux entouré, note par ailleurs Marc DeBlois. Son équipe le complète très bien. Les suivis sont rigoureux et les échéanciers sont respectés la plupart du temps.»

Si Gregory Charles sait déléguer et faire confiance à ses partenaires d'affaires, il tient toutefois à demeurer le seul chef. «Il n'y a qu'un seul actionnaire, dit-il. C'est une question de dimension, même si je tiens à séparer les parties pour que ce soit clair. Car, un jour, quelqu'un pourrait vouloir acheter juste Marignan. Peut-être que le modèle va changer. Présentement, c'est gérable et efficace de cette façon.»

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Le Mondial Choral s'associe à Evenko

À temps pour le huitième festival, à Laval, du 15 juin au 15 juillet 2012, le Mondial Choral s'associe au promoteur evenko. «Mon festival est à la croisée des chemins, estime Gregory Charles, président, créateur et directeur artistique du Mondial Choral. Je ne veux pas faire la même chose d'année en année. Surtout pas dans une ville en croissance. Au fil des ans, mes idées se sont précisées. On a invité Charles Aznavour, The Beach Boys, on a fait l'intégrale des Beatles... Là, on s'en va où? Je ne suis pas bon pour booker des spectacles. La force de mon entreprise n'est pas là. Evenko a tellement plus de pouvoir et d'expertise que moi.»

Le Mondial Choral profitera des multiples liens d'evenko à l'international. «On ne s'improvise pas promoteur du jour au lendemain, souligne Jacques Aubé, vice-président exécutif et directeur général d'evenko. Gregory Charles le reconnaît!»

C'est grâce à evenko, pressenti par Gregory Charles, que Styx et The Beach Boys ont foulé l'île Jésus, en 2011. «Personne ne connaît mieux les artistes qu'evenko, dit Gregory Charles. Ses capacités de communication et d'analyse de rendement possible m'intéressent aussi. J'ai désormais un partenaire de booking qui risque avec moi. Mais je le vois comme une maximisation des résultats. Si tout se passe comme prévu, nous pourrions accueillir de grandes pointures comme Sarah McLachlan.»

«C'est une fusion d'expertises, résume Jacques Aubé. Le marché de Laval grandit beaucoup. Ça devient un autre endroit pour nous pour diffuser, car on présente de plus en plus de spectacles.»

De 2005 à 2011, l'assistance du Mondial Choral est passée de 300000 à 770 000 festivaliers. L'an dernier, le festival a généré des retombées économiques de 6 millions de dollars, selon la Ville de Laval. «On essaie de faire grandir le festival de façon ordonnée, ajoute Jacques Aubé. Il faut habituer les gens à aller voir des spectacles là-bas.»

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Vintage et le marketing

Depuis un an, Gregory Charles publie le magazine d'entreprise Vintage distribué à 2000 exemplaires (1000 en français et 1000 en anglais) quatre fois l'an. Conçu entièrement à l'interne, il fait office de brochure d'entreprise qui requiert un investissement annuel de plus de 30 000$ et qui décrit l'expertise des entreprises de Gregory Charles.

Leur président pousse à fond la promotion dans Vintage. Destinée notamment à des gens de l'industrie du spectacle qu'il aimerait séduire, la brochure comprend de la pub sur des événements bien réels comme le Mondial Choral. Ou des articles avec photos de la Red Barn: une immense grange de Dunham, convertie en studio et en repaire pour des camps musicaux qui est située sur un terrain «plus grand que le Vatican», comme l'a déjà dit le père de Gregory Charles!

Mais la brochure Vintage contient aussi de la pub sur des produits à venir, comme des livres tirés des conférences données par Gregory Charles, avec des citations fictives à l'américaine telles: «One of the Best of 2011! Time Magazine»... «Ce que l'on vend, c'est de la créativité, se justifie Gregory Charles. L'idée d'un magazine sert à ça. Il arrive souvent de devoir produire ce genre de documents dans le cadre d'un événement corporatif ou d'un congrès. Cet outil prouve que notre entreprise a des idées d'une part, mais prouve aussi qu'on peut faire la même chose pour le client. Les citations fictives ressemblent à ce que nos clients potentiels font lorsqu'ils accueillent leurs meilleurs agents immobiliers ou leurs meilleurs comptables et qu'ils simulent des premières pages de magazines comme le Time Life ou le Newsweek avec eux.»

Le dernier numéro, celui de janvier 2012, a en couverture le visage de Gregory Charles. «Pendant plusieurs années, je me suis demandé comment faire la promotion de mes entreprises, explique l'artiste. Devais-je les séparer de moi? Je demeure quand même un atout dans celles-ci. Je suis vintage. Je dirige un festival qui a comme particularité d'être vintage. C'est le lien dans tout ce qu'on fait. Par ailleurs, je ne suis pas tout le temps à Montréal, puisque je voyage et que je donne des spectacles, je dois donc trouver des moyens d'assurer une présence.

«Et puis, on travaille aux États-Unis, un nouveau territoire pour moi, ajoute Gregory Charles. Avec le magazine, les gens se rendent compte qu'on est une marque. Ça ouvre l'esprit des gens qui font affaire avec nous et ça nous force à contrôler la progression de nos affaires. À nous demander si ça colle avec la marque.»