Chaque semaine, nous vous proposons un extrait d'un «cas pédagogique» du Centre de cas de HEC Montréal: la description en contexte d'une situation réelle d'entreprise qui suscite des interrogations et une réflexion sur certains aspects de la gestion. Le cas de cette semaine est basé sur une situation réelle, mais les noms ont été maquillés pour préserver la confidentialité.

M. Wilde dirige une des principales écoles de gestion d'un des États situés au nord-ouest des États-Unis. Sous sa direction, l'école, tout en renforçant la taille et la qualité de son corps professoral, a continué de tisser des liens féconds avec le milieu des affaires.

Aujourd'hui, un courriel attire son attention: il émane du bureau de Walter J. Crumb, président fondateur de Mingo, grande marque mondiale d'articles et de vêtements de sport. Mingo est aussi un généreux donateur de l'école depuis de longues années. Walter J. Crumb est un ancien étudiant de l'école qui n'a pas oublié son alma mater. C'est un personnage haut en couleur avec son franc-parler; un président fondateur qui ne laisse personne indifférent, admiré par beaucoup, détesté par d'autres.

Ce courriel laisse présager des ennuis. Il parle de restrictions budgétaires que l'entreprise compte mettre en place au cours de l'année, ce qui pourrait fortement remettre en question le don annuel que l'entreprise verse à l'école.

Un journal critique

Par ailleurs, le président de Mingo «s'interroge» fortement sur la manière dont les étudiants parlent de son entreprise dans leur journal interne. Il aimerait que cessent la parution de certains articles, mais aussi que soient rompus les liens que les étudiants ont avec une ONG qui publie des études sur les conditions de travail dans les «sweatshops» de même qu'avec l'USAS (United Students Against Sweatshops) fortement impliquée dans la dénonciation des conditions de travail chez les sous-traitants des grandes marques de vêtements et d'équipements de sports.

Dans un récent numéro du journal des étudiants, un éditorial s'interrogeait sur les raisons de conditions de travail jugées déplorables chez certains sous-traitants de Mingo. Un appel était même lancé aux lecteurs afin qu'ils envoient un courriel à l'entreprise pour lui demander des explications. Cette campagne dépassait le simple cadre de l'école et s'étendait aussi à plusieurs autres universités à travers le pays.

Les sous-traitants

Dans l'article, il était notamment fait état d'un salaire moyen de 2$ par jour; d'une interdiction de la création de syndicats indépendants chez certains sous-traitants de Mingo; du licenciement immédiat des travailleurs malades; de l'interdiction d'aller plus d'une fois aux toilettes par période de 8 heures; de soins de santé inadéquats; d'employés victimes de mauvais traitements de la part de leurs cadres; de faveurs sexuelles qui auraient été demandées en échange d'emplois dans deux usines; et d'heures supplémentaires obligatoires pour atteindre les quotas élevés demandés, etc.

Les étudiants à l'origine de l'article et de la campagne d'opinion interne à l'égard de Mingo avaient des résultats scolaires plutôt au-dessus de la moyenne. Certains faisaient partie de CAUSE (Children Against Underage Servitude and Employment), d'autres de «Catholic Youth», ou encore de «Mother Teresa's Missionaries of Charity».

M. Wilde avait finalement réussi à avoir un court entretien téléphonique avec M. Crumb. Ce dernier n'y était pas allé par quatre chemins: «Vous devriez dire à vos jeunes qu'ils feraient mieux de travailler dur pour réussir leurs examens et de faire du sport plutôt que de faire de la politique. Ils n'ont encore jamais travaillé dans une entreprise et donnent des leçons de morale! Et puis surveillez davantage ce qu'on leur apprend dans leurs cours et que de vrais professionnels s'en chargent plutôt que des gens passablement déconnectés de la réalité! Vos professeurs sont sûrement couverts de diplômes, mais mettent-ils souvent les pieds dans une entreprise? Que connaissent-ils des défis que je rencontre? J'apporte du travail à vos étudiants lorsqu'ils sortent de chez vous! Après ce que j'ai fait pour cette école, je ne me ferai pas traiter de la sorte».

Le directeur Wilde se demandait comment se dépêtrer de cette histoire et quelle décision prendre. Le don annuel semblait bel et bien compromis alors que l'école en avait pourtant un grand besoin.

Quelques questions

- Dans quelle mesure Mingo est-elle responsable de ses sous-traitants?

- Est-ce qu'une entreprise leader est tenue, auprès de ses clients, de maintenir une image irréprochable, en avance sur les lois et de promouvoir un travail décent?

- Les codes de conduite (mesures volontaires) adoptés par les entreprises multinationales sont-ils une solution pour protéger les travailleurs des pays à bas salaires?

- Quelle est la mission d'une école de gestion? > Peut-elle former tout autant, de futurs employés efficaces, des citoyens responsables et des étudiants (tes) dotés de sens critique?

- Quel équilibre établir entre la réputation de l'école de gestion auprès de la société civile et sa réputation auprès des entreprises?

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Vincent Calvez, docteur en gestion de l'école polytechnique (France), est professeur au Groupe ESSCA, en France. Vanessa Duthu-Calvez est docteure en droit de l'Université de Nantes (France) et membre du Laboratoire Droit et Changement Social.

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Vous trouverez la version intégrale de ce cas à l'adresse https://www2.hec.ca/centredecas du Centre de cas HEC Montréal.