Les incitatifs adoptés par les gouvernements du Canada et du Québec pour favoriser la présence d'une industrie pharmaceutique sur leur territoire peinent à remplir leur rôle. En contrepartie, ils font en sorte que les Canadiens paient le gros prix pour leurs médicaments. Est-ce le moment de revoir nos politiques à l'égard de l'industrie pharmaceutique?

Johnson & Johnson, Sanofi, puis Astra Zeneca. En l'espace d'un mois, trois entreprises du secteur des sciences de la vie ont sabré un total de 358 postes dans leurs établissements de la région de Montréal. Deux d'entre elles ont tout simplement mis un terme à leurs activités de recherche.

Le gouvernement canadien a pourtant adopté en 1987 deux politiques qui ont fait du pays un terreau fertile pour le développement d'une industrie de recherche en pharmaceutique.

D'abord, il a relevé ses règles de protection des brevets, puis a établi un mécanisme de fixation des coûts des médicaments d'origine plutôt généreux à l'égard de l'industrie.

En contrepartie, les entreprises pharmaceutiques canadiennes s'engageaient à réinvestir en recherche et en développement (R et D) une somme correspondant à 10% de leurs ventes de médicaments au pays.

«Au départ, c'était très bien, mais ça s'est essoufflé par la suite», note Marc-André Gagnon, professeur adjoint à l'École d'administration et de politiques publiques de l'Université Carleton.

En effet, au cours des années 90, le secteur pharmaceutique canadien a pris son essor. De plus, les entreprises établies au pays ont non seulement respecté leur engagement à l'égard du gouvernement, mais l'ont même dépassé, réinvestissant en R et D jusqu'à 11,7% de leurs ventes en 1995.

Mais depuis 2001, cette variable est retombée sous les 10%, et périclite chaque année. Elle se trouvait à 6,9% en 2010, après la fermeture entre autres du centre de recherche de Merck à Kirkland.

«On se retrouve aujourd'hui à ne générer pas plus de retombées économiques qu'avant la mise en place des politiques généreuses de 1987, affirme Marc-André Gagnon. Si les firmes ne respectent plus l'entente, le Canada n'a plus de raisons de respecter sa partie de l'entente.»

Russell Williams, président de Rx & D, ne partage pas cet avis. L'association des entreprises du secteur du médicament d'origine qu'il représente est responsable de la plupart - 84,8% en 2010 - des investissements privés en R et D dans le secteur pharmaceutique.

Selon lui, il faut évaluer l'entente «sur le long terme». Il rappelle à cet effet qu'entre 1988 et 2010, l'industrie a injecté en moyenne 9,9% de ses ventes en R et D, respectant son entente avec le gouvernement canadien.

Les entreprises pharmaceutiques n'ont pourtant pas de difficulté à investir beaucoup plus en R et D ailleurs en Occident. Alors que la cible canadienne est placée à 10%, les investissements en R et D approchaient les 20% en France, en Allemagne et aux États-Unis.

La Suisse représente quant à elle un cas à part. En 2008, les investissements en R et D y dépassaient largement, à 119,9%, la hauteur des ventes de médicament réalisées sur son territoire. Selon Marc-André Gagnon, on doit la force de la recherche dans ces pays à la présence d'au moins un géant de la pharmaceutique sur leur territoire. Un luxe dont ne jouit pas le Canada.

Des médicaments coûteux

Pour inciter les entreprises pharmaceutiques à respecter ses engagements, le gouvernement canadien s'est engagé à payer un fort prix pour ses médicaments.

Celui-ci est déterminé par le Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés (CEPMB), un organisme gouvernemental qui fixe le prix maximal auquel le fabricant peut vendre son produit aux centres hospitaliers et aux pharmacies.

Pour ce faire, le CEPMB établit son prix à mi-chemin entre ceux de sept pays de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) auxquels il se réfère, soit les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, la Suisse, la Suède et l'Italie. En conséquence, le Canada oscille entre le quatrième et cinquième rang mondial pour ce qui est du coût de ses médicaments d'origine. Car, comme le fabricant du médicament détient l'exclusivité sur son produit, le prix proposé devient habituellement celui qu'a fixé le CEPMB.

La situation n'est pas plus rose du côté des génériques. Selon la plus récente étude du CEPMB réalisée avec des données de 2008, les Suisses payent plus cher que les Canadiens pour leurs produits génériques. Il faut noter toutefois que le coût des médicaments génériques a baissé progressivement en Ontario et au Québec depuis 2010. Il sera d'ailleurs fixé à 25% du prix du médicament d'origine le 1er avril prochain.

Des dépenses en croissance

Si le coût des médicaments concerne avant tout les centres hospitaliers et les pharmacies, les dépenses en médicaments impliquent quant à elles directement les Canadiens.

À ce chapitre, le Canada occupe le deuxième rang de l'OCDE, avec des dépenses annuelles par habitant évaluées à 743,7$US en 2009. Une progression qui s'explique par une croissance à un rythme annuel de 6,4% des ventes de médicaments au pays au cours de la période 2005-2010.

Selon Marc-André Gagnon, les politiques canadiennes à l'égard du prix des médicaments sont responsables de ces sommes élevées. Une situation qui pourrait être corrigée si on modifiait le mécanisme employé par le CEPMB pour fixer ses prix.

«Si on se donnait la même structure de prix que le Royaume-Uni ou la France, le Canada sauverait près de 1,5 milliard», indique-t-il.